30.9.08

[17/20] C'est au pied du mur... (blanding - Monument Valley)

Cette destination, je me souviens encore lorsque Marc-Olivier nous l'a "vendu". Durant les toutes premières discussions de la préparation de ce voyage, il répondait pratiquement "oui" à chaque fois que nous demandions si on pouvait aller par ici ou par là. Monument Valley était une destination pratiquement obligatoire dans tout le trajet. Les images de Western trottaient dans notre tête. Il fallait y aller presque coûte que coûte : dans le désert, un lodge nous attendrait pour y passer la nuit, une piste privée (UT25, Goulding) pour laquelle nous demanderions une autorisation aux indiens Navajo (les propriétaires), une butte immense dans l'axe de la seule piste disponible, une piste qui monte, un décor i-ni-ma-gi-na-ble. Bref, vous alliez voir ce que vous alliez voir. "Et toi, Vincent, qui aime les approches originales, tu vas être servi".


Avant de partir, "au pied du mur" (sans jeu de mot) les commandants de bord respectifs demandent de nouveau à se faire briefer sur ce terrain un peu particulier. C'est pas tous les jours que l'on va se poser à Monument Valley. Bon, ok, ça monte... mais c'est pas l'Alpe d'Huez tout de même ? Et cette piste face à un mur, c'est vraiment piégeant ? La butte est loin ? Faut une qualification ? On saurait s'y poser, t'es sûr ? L'aérologie est comment ? C'est compliqué de s'aligner ? On y remet souvent les gaz ? Mais alors avec cette montagne en face, on vire à droite ou à gauche ? Qu'est-ce-qui est mieux ? Les questions fusent, nous nous préparons mentalement. Mais tout compte fait, Marc-Olivier nous rassure. Juste une piste, un peu en pente, dans un décor de folie et face à un mur. Tout compte fait. Il est confiant. Nous pas.

Mais on verra bien. On a fait les pleins après avoir battu notre record du monde de vitesse de ravitaillement au Self Serve (Pit Stop de rêve comme dira Marc-Olivier). Dans le pire des cas, le coin est bourré de terrain de déroutement. Et puis, il parait qu'on a de la place pour s'établir en finale, que l'on peut dégager longtemps pendant la longue finale (en courte, par contre, il faut se poser, un point c'est tout ou accepter de voler bas... très bas...) et que ça monte à peine. A peine. En haut, il faudra faire gaffe au parking avec ses graviers. Les hélices n'aiment pas.

Après la tension des vols en patrouille et la concentration associée, le ravitaillement et le départ de Blanding sont presque de la routine. On oublie tout de même que l'on est à plus de 5800 pieds alors les essais moteurs se terminent par la procédure de mixture. On appauvri... on appauvri jusqu'au pic, puis on en remet une petit louche. Qui a dit que l'aviation était compliquée. Juste une question d'ingrédients et de dosage.


Arrivée à Monument Valley

Plein gaz, la piste est longue et le décollage sans histoire. "Le temps de vol, mesdames et messieurs ne sera que d'une trentaine de minutes". Nous longeaons Cedar Mesa avec des sommets environnants à 6800 pieds. Puis comme entre St-Cyr et Dreux nous longeons la route 163 qui d'après mon navigateur copilote doit nous emmener à peu près au terrain, ou juste à côté. Je ne fais qu'écouter Florent car j'ai l'attention totalement absorbé par la vallée qui s'annonce. J'avais en tête ces immenses butes issus de notre imaginaire collectif lorsqu'on évoque un western de John Wayne. Je voulais en voir, j'en cherche du regard quand soudain, en voilà une. Un pic monstrueux au milieu de nul part. Le terrain commence également à devenir rouge brulant. On sent presque la poussière, alors que dans le petit Cessna vers 7000 pieds, nous sommes protégés.



Le doigt sur la carte et alors que nous sommes totalement estomaqués par ce qui nous entoure, ou plutôt nous submerge, nous cherchons une piste dans ce décor totalement incroyable. Rien ne ressemble à une piste d'aviation. Avec tous les détails que Marc-Olivier nous a donné sur la butte en face de la piste 16, nous cherchons tout ce qui peut être perpendiculaire à une paroi. Drôle de méthode de recherche de terrain !

Quelques secondes avant la vertiale d'UT25

Et soudain, nous la découvrons. Sur le bord sud de cet immense vallée, au raz de ce que j'appellerais une falaise, un peu en pente, un peu à l'ombre un fin pinceau de bitume avec un mini rectangle gris au bout préfigure l'endroit où il faut se poser. Il y a de la place pour descendre, nous avons l'impression que toute la vallée entière nous appartient... rien qu'à nous. Personne sur la fréquence. Notre Cessna est bon dernier à se poser. J'appuie sur le bouton enregistrement du camescope. Que le spectacle commence.



- "Goulding trafic, Cessna November-Seven-Five-Foxtrot, we are midfield six thousand feet and we will report left hand downwind runway one-six, Goulding trafic"


Le Duchess est déjà posé. Personne d'autres sur la fréquence. Je rentre par la verticale pour autant profiter du spectacle que pour faire comme dans les livres. Les Alex viennent d'annoncer qu'ils ont dégagé la piste. Nous sommes à peine en début de vent arrière. Il est temps de descendre doucement, pas plus bas en gardant un oeil sur la piste qui se dégage sous l'aile, Cessna oblige.

- "Pour vous prévenir Vincent, y-a un buisson au début de la piste" nous annonce Alex
- "Et bien que du bonheur !"

- "Goulding trafic, Cessna November-Seven-Five-Foxtrot, is turning final runway one six, Goulding trafic"

... et nous nous dirigeons droit vers un mur et une piste qui monte.


Finale piste... euh... La seule piste disponible !


Le tumbleweed sur la courte finale !!!
Comme dans les western !

Courte finale... "Oh bha y-a un truc là". Le buisson est là sur la gauche. Comme l'avait indiqué Alex. J'ai le regard attiré par ce "tumbleweed" (comme y disent par ici). Un peu plus loin, je touche la roue droite du Cessna, petit rebond, puis la roue gauche, puis tout le monde touche la piste.

- "Ooo0hhhh, bhhhaaaa il est nul cet atterrissage. J'espère que vous ne l'avez pas enregistré"

Ah bhaaaa si justement, c'est toi qui a appuyé sur REC. Je m'en moque après tout. Posé et pas cassé. Posé à UT25 dans Monument Valley.
Christophe posté à mi piste shoot le N4975F à l'atterrissage

Service de luxe à l'arrivée au parking.
Marc-Olivier fait faire un créneau à notre Cessna ;-)

Un décor de rêve pour cette piste privé (UT25)
La piste vue du parking


Vous imaginiez un parking avion ici ?


La traditionnelle photo souvenir au Goulding Trading Post
(des milliers de touristes doivent avoir "presque" la même !)








Cliquez dans l'image et déplacez la souris pour bouger le point de vue à 360 degrés. Les touches MAJ et CTRL permettent de zoomer + et -

[16/20] On est où ? Je sais pas... mais c'est joli (Page - Bryce Canyon - Blanding)

Entre un café dans une tasse en polystyrène, un mufin de supermarché et la grande route, nous voilà tous attablés sous le franc soleil du matin. Nous sommes un peu à l'étroit sur la terrasse exiguë de notre motel. La journée commence bien. Il fait grand bleu. Les nombreux touristes, dont quelques français, s'affairent à trouver un café chaud. Nous chaussons déjà nos lunettes de soleil. On se croirait en vacances.

Devant nous, le Lake Powell Boulevard tourne en descendant vers ce décor qui a dû bercer nos rêves. Peut-être a-t-on rêvé ? La fatigue nous en a-t-elle laissé le loisir ?

La bande des 6 traîne un peu, profitant de cet instant de vrai touriste pour griffonner quelques cartes postales. Jusqu'à ce qu'un d'entre nous rappelle le petit groupe à l'ordre. Il faudrait peut-être y aller les gars ? Trois avions vous attendent sur le parking de Page Municipal ! Il y a surtout la navette qui-a-le-tips-? qui semble être arrivée pour nous remonter au terrain. A défaut d'avoir une nav. de prête, nous n'aurons pas à tirer nos valises sur les trottoirs de Page.


Le Lake Power boulevard au pied de notre motel

La préparation du vol du jour se fait sur le parking des avions. Au grand air et rythmé par le démarrage des Lycoming. Voilà ce qui est prévu pour la journée. On pourrait croire qu'il s'agit d'un programme de plusieurs, mais non... nous... nous continuons sur le rythme initié maintenant depuis plusieurs jours.

Départ vers le nord-ouest, tout droit sur le VOR de Bryce Canyon. Facile, il suffit de faire un direct TO. Il parait qu'il y a de jolies choses à voir là-haut... de là-haut. Bryce Canyon... Ca me dit quelque chose. Après avoir profité de la visite, nous partirons vers l'est pour survoler Natural Bridges National Monument. Puis, en fonction de ce qu'il restera dans les réservoirs, Marc-Olivier nous prévoit un (pit) stop à Blanding (altitude du terrain 5868 ft). Nous prendrons ensuite la direction du nord de l'Arizona pour rejoindre la réserve des Navajo communément appelé Monument Valley (ce nom me dit quelque chose ce nom). Nous y ferons une escale "déjeuner" en nous posant sur le terrain privé de Goulding (UT25). Petit particularité, un seul QFU (sens de la piste) est utilisable pour l'atterrissage car orienté vers une des buttes de Monument Valley ! Puis nous repartirons enfin pour notre destination finale de Sedona.

Là encore, Marc-Olivier nous "vend" la destination de journée comme un pro : "Sedona est superbe, une piste en porte-avion dans un site exceptionnel, vous allez voir ! Toi, Vincent, qui aime les pistes tordus ! Tu vas adorer !". "Ah". Des pistes tordues ? Pire que l'arrivée à Portland ? Plus frissonant que l'atterrissage nuit à Oakland ? Plus dépaysant que le desert de Mojave ? Nous, on n'y connait plus grand chose. On a un peu perdu nos repères. Depuis plusieurs jours maintenant, nous avons appris à ne plus nous méfier. Complètement dépassés par les évènements. Nous sommes promenés d'un site exceptionnel à un autre. Un peu blasé durant la prépartion car nous savons que chaque jour, il y aura une surprise. Et forcément, une surprise de taille. Plus grande encore que la veille.

Depuis le début, nous avons tout de même fait la verticale de Los Angeles, des atterissages de nuit à Oakland, un survol de Vancouver (la ville) et Vancouver (International, le gros terrain), le survol de Crater Lake et d'une chaine de volcans, une short approach à Portland, un refueling au Space Port de Mojave, une vent arrière au dessus du Strip de Las Vegas, le survol du Grand-Canyon et nous nous sommes posés à Page de jour et de nuit. Glurps.

Page - Bryce Canyon - Monument Valley et Sedona. Voilà donc le programme de la... journée. On pourrait faire un voyage rien qu'avec ça. Nous c'est juste un bout. Frissons garantis. Cela va être exceptionnel. On le sait. On le devine. Ca ne peut que continuer.


Plaisir du matin : traverser tout le parking en trainant sa valise
vers SON avion. Plaisir du pilote privé voyageur.

Comme la journée risque d'être longue, nous remplissons les bouteilles d'eau et engrengons quelques sucres rapides. Les verrières sont nettoyés scrupuleusement. Le produit magique trouvé au fon des Cessna fait merveille. Une couche. On étale. On laisse sécher et on nettoie par un coup de chiffon.

Ils ont de l'humour les 'ricains sur leur machine à soda

Je ne me rappelle même plus qui est aux commandes du Cessna lorsque nous nous replongeons dans ce décor de western au point d'arrêt de la 33. Nous sommes toujours en auto-information. Nous avons l'impression d'être dans un décor en cinémascope, comme en témoigne cette vidéo :



Nous sommes les derniers à nous envoler. Tango-Bravo et le Duchess sont déjà loin devant. Sur 123.45, il ne faut pas longtemps pour que les frenchies blablatent. Ils n'y avaient que 3 avions, mais qu'est-ce-qu'ils ont occupé la fréquence. Nous filons vers le VOR de Bryce Canyon 112.8 lorsque l'immense muraille se montre devant nous. 123.45 est rempli de radiale et de distance DME pour que tout le monde se retrouve. Le Tango-Bravo voit des fumés d'incendie et s'inquiète.

Je ne sais plus pourquoi, j'imaginais de passer au dessus comme s'il fallait aller plus loin. Le spectacle est là et je ne m'en rends même pas compte. 8000 ou 9000 ft ? Peu importe, il faut regarder dehors et profiter !





Petite promenade au dessus de Bryce Canyon
immortalisée par la trace GPS


Petite anecdote qui donne le titre à ce récit. Dans le N4975F, le camescope tourne souvent à l'insu des deux passagers. J'appuie sur REC, puis absorbé par le paysage, nous oublions que "cela tourne". Le camescope conserve alors des bribes de conversations étonnantes. Une des plus belle restera certainement, lorsque nous arrivions sur Bryce Canyon :

- "On est où ?"
- "Je sais pas... mais c'est jolie"

(Véridique, j'ai la vidéo en pièce à conviction. Heureusement, on ne reconnait pas les voix)







Nous tournons pour profiter encore et encore du décor. Je me demande pourquoi on appelle le Bryce Canyon, un Canyon car la partie qui submerge le regard ressemble plus à une muraille avec des milliers de pics acérés (les hoodoos) sur son flanc. J'ai l'impression de voler dans un poster. Rien à voir avec le Grand Canyon d'hier.

Le Duchess nous a rejoins alors que le Tango-Bravo en avance, file déjà vers Blanding. S'improvise alors la seconde patrouille de ce périple. 123.45 blablatte fort et les photographes mitraillent conservant quelques jolies morceaux de souvenirs aériens.



Les machines sont presque photographiées sous toutes les coutures. Je me place à droite, puis à gauche au gré des desiderata des photographes. Puis nous faisons un jolie 180 pour absorber tout le paysage du regard, malgré l'aile haute du Cessna. Tous les échanges se font sur 123.45 et on entend le Tango-Bravo qui voudrait aussi en profiter. Nous filons le rejoindre.


Après un dernier passage, le Duchess décide de rentrer toute la ferraille qui lui permet de rester à notre hauteur et s'en va rattraper le Tango-Bravo qui est déjà vers Bullfrog Basin.


Nous traçons comme nous pouvons vers l'est maintenant, en direction du Natural Bridges National Monument.

Nous peinons un peu à rattraper le Duchess et le Cessna Tango Bravo devant. Nous les entendons se coordonner sur la fréquence pour également voler en patrouille comme nous il y a quelques minutes.





Les deux grosses marina du bassin aux grosses grenouilles (Bullfrog basin) nous servent admirablement de point de repères. "Vous êtes à la Marina du nord ?", "Non à celle du sud...", "Ah, on voit voit pas...", "A quelle altitude ?", "et par rapport au terrain de Bullfrog ?"... etc... etc... Nous ne sommes que 3 en l'air, mais nous faisons un vacarme sur 123.45 !



Avant d'arriver au Natural Bridges, tout naturellement nous nous remontons le lac Powell en direction du Glen Canyon pour la plus belle patrouille à laquelle j'ai pu participer.

La lumière est vive. L'éclairage parfait. Le lieu magique et le ciel nous semble abandonné et calme. Personne en l'air, sauf un Beech 76 et deux Skyhawk 172 dans l'ouest américain. Le Duchess et les deux Cessna volent de concert. L'un se plaçant à droite, puis à gauche pour pouvoir se photographier à tour de rôle. Marc-Olivier et Christophe font la navigation. Ce sont nos leaders. Nous suivons comme deux poissons pilotes.










Ces superbes images resteront certainement en très bonne place dans ma mémoire de pilotaillon. Un décor fantastique, une patrouille à trois machines dans l'ouest américain. Un rêve de pilotaillon






Puis nous rompons la mini formation, puis reprenons notre route vers l'est. Quelques grandes boucles au dessus du Natural Bridges ne nous rasassieront pas. Les appareils photos enregistrent tout.
Au dessus de Natural Bridges National Monument

Puis après tous ces slaloms paradisiaques, il faut tout de même penser à aller faire le plein vers Blanding. Les avions s'espacent alors que le 75F refait un dernier tour. Nous y sommes ! Nous y restons ! Nous nous séparons et chacun se donne rendez-vous silencieusement vers notre prochain pit stop (KBDG).

On a pris la route pour aller à Blanding
Ok, on est peut-être un peu bas, là.

Blanding est un petit terrain qui nous semble paumé au milieu de nul part. On y trouve un Self Serve (pompe à essence en libre service) bien utile, car aurons besoin de faire des réserves en prévision de l'absence d'essence au terrain suivant.


Courte finale à Blanding


Pit Stop à Blanding

Blanding est également remarquable car situé à une altitude de 5868 pieds. A titre de comparaison, l'altiport de l'Alpe d'Huez est à 6102 pieds et Méribel à 5636 pieds. Blanding sera le terrain le plus élevé de tout Far West 2008. Blanding sera aussi le terrain de ravitaillement le plus rapide de tout le périple. Et Marc-Olivier aura à coeur de nous rappeler qu'un arrêt ravitaillement "doit être toujours comme celui de Blanding". On dira plus tard que Blanding est "le pit stop le plus rapide de Far West. LA référence". Nous avons pris le rythme un peu tard, car nous sommes maintenant à plus de la moitié du voyage, mais peut-être savions nous que d'une part il restait des miles à parcourir mais qu'une superbe, si ce n'est la plus belle des approches nous attendait dans quelques minutes. Mais ça, c'est une autre histoire.
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