D’un seul coup le bruit de la fragile porte du Robin DR-221 résonne. Je verrouille la verrière. Xavier est encore sur l’aile. De l’extérieur, il me regarde faire. La sueur coule sur mon front. Mon T-Shirt est trempé. Il doit faire 40 degrés dans ce cockpit. Le moteur tourne toujours, mais la ventilation n’est pas assez forte pour me raffraîchir. On a fait un « retour parking ». Je ne vois plus mon instructeur. Il a quitté mon champ de vision. Il est partit par où ? Il ne va pas rester derrière l’avion quand même. J’entendrais plus tard dire que lors du lacher, en fait l’avion reste attaché avec d’énormes élastiques et l’instructeur à deux poignets de commande, comme pour le vol circulaire. Quelle idée ?! Le voilà qui réapparait. Il me fait signe avec le pouce pointé vers le haut. Je lui réponds de même. Il s’éloigne. Il ne se retourne pas. Il a son sac à dos sur l’épaule. Je le vois longer le hangar des Alcyons pour se diriger vers le Club-House. Il ne se retourne toujours pas. Pas un regard. Il faut que j’y aille. Un rapide scanning sur les instruments. Et j’appuie sur l’interrupteur : « St-Cyr Sol de Fox-Romeo-Tango, je suis prêt au roulage »
Retour en arrière 1 heure auparavant.
Samedi 31 mai 2003. Zulu-Papa est endommagé, alors on prend Romeo-Tango. Mes dernières heures de vol se sont réalisées avec lui. Ce ne devrait pas poser de problème.
- « Et bien, on va faire quelques tours de pistes. Aujourd’hui, on a tout comme à Orly. Un sol et une tour. Dommage que ce soit la 12 en service. La manche à air est collée au poteau. On va négocier ça ».
Nous prenons l’ATIS. J’utilise ma p’tite planchette avec mon p’tit critérium. Tout comme les vrai pilotes. Je note l’information, le QNH et la piste en service.
- « St Cyr Sol de Fox-Romeo-Tango, bonjour ».
Ouaiis, j’ai dit bonjour du premier coup ! La réponse est rapide et sèche.
- « Romeo-Tango bonjour ».
- « St Cyr Sol de Fox-Bravo-Papa-Romeo-Tango, un DR-221 au parking des Alcyons, on a reçu l’information Echo, pour quelques tours de pistes ».
- « Romeo-Tango, roulez 12 gauche, rappelez prêt ».
Je roule calmement. Je commence à le connaître ce zigouigoui. Tout doux avec les pieds. Pensez que la roulette est derrière et anticiper. On passe à côté de la tour. Peut-être que dans pas longtemps, les types là-haut dans leur perchoir, ils me contrôleront alors que je serais seul à bord. Ils pourraient être les seuls qui pourraient m’aider si j’avais quelques problèmes. Pourquoi je pense à ça ?
- « St Cyr Sol de Romeo-Tango, qu’est-ce que vous pensez de la 30 gauche ? » demande alors Xavier, mon instructeur.
- « Romeo-Tango… on… on regarde ça et on vous rappelle. »
Pendant ce temps, moi je roule vers la 12 droite. Doucement, mais je roule dans le mauvais sens quand même s’ils ouvrent la 30.
- « Novembre-Hotel et Romeo-Tango, changement de QFU, vous roulez pour la 30 gauche, rappelez prêt ».
Et hop, je fais demi-tour alors que j’arrivais sur la partie en herbe du taxiway (pour ceux qui connaissent). Je me dis que cette demande de changement de piste en service n’est pas anodine. A St-Cyr, un lâcher avec la 12 en service, ça fait des décollages directement dans l’axe du château de Versailles et forcément des pannes au décollage un poil plus compliquées à gérer. Voilà, ça c’est fait… Ce sera donc la 30.
On enchaîne les tours de piste. 3 ou 4, je ne me souviens plus. Un (superbe) Piper Cub jaune (existe-t-il dans une autre couleur ?) nous force à faire un vent traversier avec le-clignotant-à droite pour pouvoir le doubler. J’apprend aussi à réagir si l’avion devant moi est trop lent et anticipe un 360 degrés autour (et pas au dessus) de Rennemoulin. Ces tours de pistes m’ont permis de définitivement comprendre la dernière phase de l’atterissage : le rebond (j’en vois 2 au fond qui rigolent).
- « Après le 1er rebond, on ne fait rien, Vincent . On ne rend pas la main à l’avion, sinon il va se planter dans la piste. On garde le manche dans sa position et on refait un second arrondi ».
Tout ça, je ne l’avais pas compris…. Pas compris du tout. Ou peut-être, je n’étais pas capable de le maîtriser. Le 1er atterrissage se fait avec rebond. Le second aussi, mais j’ai mieux maîtrisé et pas uniquement subi ce qui se passait. Le troisième est… ? Je ne m’en rappelle plus. Disons que j’ai rebondis (les 2 du fond, là…dehors ! au Loft !). Le quatrième est fantastique (si… si, je m’envois des fleurs, parfois ça me fait plaisir), j’ai entendu l’avertisseur tout du long de l’arrondi. J’ai gérer et laisser se poser mon Romeo-Tango. Que du bonheur. Pas de rebond. Quel plaisir de poser un train classique de cette manière. Note pour plus tard : pensez à le refaire.
Une PTE trop longue plus tard où Xavier me montre comment donner un monstrueux coup de frein à coup de glissadee, et je l’entend dire :
- « Bon, ton certificat médical est à jour, tes papiers aussi ? »
Il se retourne et regroupe ses affaires posées sur le siège arrière pendant que nous remontons au point d’arrêt.
- « Tu redécolles, tu me refais un joli atterrisage et on fait un retour parking ».
Là, je sens qu’il se passe quelque chose. Ce n’est plus une surprise, on en parle depuis plusieurs heures (de vol) et je saoule tous ceux qui m’entourent. Mais c’est difficile maintenant de faire marche arrière. Je ne sais vraiment plus comment s’est déroulé le dernier tour de piste. Peu importe. Je me rappelle juste avoir demandé à plusieurs reprises à Xavier s’il était vraiment sûr, si c’était le bon moment. En remontant au parking, Xavier me liste tout ce qui va suivre.
- « Tu vas voir l’avion est plus léger, ce n’est pas une raison pour mettre moins de gaz au décollage… tu ne feras pas un essai moteur au point d’arrêt, juste un scanning rapide… ».
Je n’entends rien. Ou si peu de chose. J’y suis déjà… Je suis déjà dans mon tour de piste solo.
Au parking, Xavier prend la parole et annonce
- « St-Cyr Sol, pour un départ pour un lâcher Solo ».
Le sol répond
- « Romeo-Tango, prêt à rouler ? ».
Ah ba, non… attendez que l’instructeur descende !
- « Dans quelques minutes » annonce pour la dernière fois Xavier.
Je tends bêtement ma main devant moi à l’horizontal, pour voir si je tremble… de peur ? Ma main vibre… à cause du moteur qui est resté allumé. Ma main est tendu, j’en profite pour serrer celle de Xavier.
- « A tout de suite ».
Xavier descend de Romeo-Tango. Je verrouille la verrière avec lui à l’extérieur.
- « St Cyr Sol de Fox-Romeo-Tango, je suis prêt au roulage ».
- « Romeo-Tango, roulez 30 gauche, rappelez prêt ».
- « Je roule 30 gauche, rappelle prêt, Romeo-Tango ».
Je suis tout seul. Bêtement je regarde tout autour de moi. Je suis toujours à l’arrêt et au sol. Personne sur le parking pour me regarder partir. Je pousse la manette des gaz. Romeo-tango avance doucement. Le roulage est surprenant. Je m’entends respirer. Pas de discussion avec Xavier. Pas d’échange. Rien. Je suis seul à bord de mon avion, je m’entends respirer dans le casque et je roule pour le point d’arrêt de la 30 gauche.
Il a dit de ne pas faire d’essai moteur au point d’arrêt. Bon, alors scanning des instruments, tout est dans le vert, rien ne s’allume. Je baisse un cran de volet. J’allume la pompe. A ce moment, je ne suis sûr de RIEN. C’est maintenant qu’il faut baisser le cran de volet… la pompe, l’allumer maintenant ou aligner. Je fais les choses mécaniquement.
- « St-Cyr Sol de Romeo-Tango, au point d’arrêt 30, je suis prêt ».
Le décollage est une formalité. 50 km/h pour la mise en ligne de vol, 100 km/h pour la rotation… ah… non, il pèse si lourd que ça l’instructeur ? J’ai dû rotationner (note pour plus tard : chercher dans le dictionnaire) vers 80 km/h. Créviendiou, il grimpe vite… 800 pieds déjà ! zut, les actions après décollage… les volets… la pompe…
- « St-Cyr de X-Ray Hotel de retour de local, on a passé les étangs, on va couper les axes et on souhaite s’intégrer par le vent arrière… »
- « X-Ray hotel, vous poursuivez. Un traffic en montée initiale ».
Eh… c’est moi le traffic en montée initiale… tu vas pas me pourrir mon 1er tour de piste solo ! Nan, mais !!
- « On a visuel sur le traffic en montée, X-Ray-Hotel »
Au moins, il m’a vu. J’ai envie de crier dans la radio : « faites gaffe ! c’est mon lacher ! Ne vous approchez pas ! Débutant total aux commandes ! »
- « Romeo-Tango, dans vos 10h… non, vos 11h00, visuel sur X-Ray-Hotel ? »
Et d’une voix la plus sérieuse, la plus sereine possible et avec le plus d’assurance : « J’ai visuel sur le traffic ». Bon ca c’est fait. Tout le monde croit que je sais piloter, du genre « Vous inquiétez pas les mecs, y-a un pro aux commandes ». Beau parleur ! Au bout du vent traversier, on est à un peu plus de 1200 pieds (le tour se fait à 1100 pieds), je dégouline de sueur de partout et je ne sais pas ce qui m’a pris, mais je me suis penché pour régler la ventilation de la place droite pour recevoir de l’air en plus.
Je vous laisse imaginer la situation. Au lieu de faire gaffe à mon altitude, mon cap, ma sécurité, X-Ray Hotel qui arrive, la vitesse, de savoir quoi faire et à quel moment… moi tranquillement je règle la clim. Je me penche et règle le p’tit truc qui est sensé me raffraîchir. Heureusement qu’il n’y a pas d’auto-radio dans les Robin, parce que je serais aller changer le CD.
- « On va faire une attente autour de Rennemoulin, X-Ray-Hotel ».
- « Recu »
Ca ce voit tant que ça que je débute ? A moins que le type dans X-Ray-Hotel ai des yeux de lynx et vu que le pilote trippatouillais la clim. Qu’il en soit ici remercié. Comme ça je n’aurais personne devant, ni derrière pour me stresser. Pour le stress, j’ai ma dose tout seul.
- « Vent arrière, Romeo Tango ».
Rien de plus. Surtout ne pas donner ses intentions. Xavier avait dit d’annoncer un retour parking. Nan, nan rester zen. Juste « Vent arrière ».
- « Romeo-Tango, vous êtes numéro 1 pour l’atterrissage rappelez dernier virage ».
- « Je suis numéro 1 pour l’atterrisage, je rappelle dernier virage, Romeo-Tango ».
La base en descente… un peu haut… un peu bas.. un peu haut… un peu de gaz… réduire.. augmentez… poussez… et je n’ai qu’une chose en tête : Où est-ce que je me pose ? 30 gauche ou 30 droite ? Y ma rien dit ? Y va me le dire quand ? Mamaaaaaan !!!!
Je prends l’option 30 droite. C’est la préférentielle (t’as lu la VAC, toi ?). Toute à l’heure, j’ai fait ça avec Xavier, et en final, la tour m’a autorisé sur la 30 gauche. Un coup de zigzag et hop, je suis sur l’axe de la 30 gauche. J’ai réussi à le faire toute à l’heure. Dans le doute, je prends la même option.
- « Dernier virage, Romeo-Tango ».« Romeo-Tango, vous êtes autorisé à l’atterissage 30 droite, les derniers vent sont calmes ».
Y-a au moins les vents qui sont calmes, eux.
- « Je suis autorisé à l’atterrisage 30 droite, Romeo-Tango ».
Bon, le plus dur reste à faire. L’axe, le plan, la vitesse… L’axe, le plan, la vitesse…Un deuxième cran de volet… L’axe, le plan, la vitesse… un peu lent… un peu de gaz… visez les « v »… on approche de l’arrondi… l’avertisseur gueule… je tire le manche… je touche… je rebondi… bloquer le manche… retentez l’arrondi… ca retouche… (ça rebondi ?)… rester calme… Ca y est, l’avion est au sol. Je contrôle aux pieds. Je suis heureux. J’ai posé mon avion !
Une fois la vitesse contrôlée, je me mets à gueuler comme un con… Je n’ai pas chanté sur le vent arrière comme de nombreux « laché ». D’accord, moi j’ai réglé la clim ;-)
Je suis heureux. La sensation du travail réalisé. Le résultat d’applications et d’excercices, de tant d’heures à répéter dans ma tête ces tours de pistes, la phraséo, les actions à chaque étape à réaliser… La pédagogie de Xavier. Son sens de l’anticipation, ses messages clairs, ses compliments, ses reproches. Tout ça, c’est dans ce tour de piste.
- « La piste 30 dégagée, Romeo-Tango »
- « Romeo-Tango, avec le sol, 121 décimale 95 »
- « Avec le sol, 121 décimal 95. Merci ».
- « St Cyr Sol, libéré par la tour, je suis sur le taxiway central, Romeo-Tango ».
- « Romeo-Tango, c’est pour un retour au point d’arrêt ? » (laissant entendre que je repars, donc).
- « Euh, bah… nan… là c’était mon lâcher, alors on est content de rouler pour le parking, Romeo-Tango ».
- « Romeo-Tango, vous roulez par le taxiway Bravo, rappelez au parking pour quitter. »
31.5.03
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4 commentaires:
Je l'avais jamais lu celui là !
Cette bouffée de passé quand même, de Xavier aux QFU... Et les sensations qui me rappellent mon propre lâcher !
Bravo pour la rédaction, c'est très bien écrit, on s'y croirait !
Pour moi le lâché c'était il y a 1 an, il me reste du chemin à parcourir pour atteindre ton niveau ;-)
J'en suis à... rdv pour la visite médicale. Je n'ai pas commencé mon ppl encore.
Le témoignage est (très) drôle et il me laisse imaginer par avance le stress du lâcher.
Oh oui , que s'est bon de revivre ce moment.
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