Je suis assis au bureau de ma chambre du Trump Hôtel. Tout à l'heure, un van d'Atlantic - le FBO de Las Vegas - nous a déposé en traversant tout le strip sous le regard étonné de Camille. Après 4h30 de vol depuis San Francisco, je vérifie la consommation du N1955L avec les compteurs Hobbs/Tach et la quantité d'Avgas mise à Oakland et Mojave. Moins de 9 gallons/h. Tout va bien. Les habitudes de mixturage (ça existe, mixturage ?) perdurent. Et pourtant la journée a été mouvementée dans tous les sens du terme.
N1955L stationné au parking d'Atlantic à Vegas
Il fait beau à Oakland lorsque je mets en route le Cessna après avoir fait le plein au Self Serve de KaiserAir. Un instructeur et son élève dans un Cessna sur l'autre pompe, nous saluent et nous demandent si nous faisons un "kind of tour" ? Oui, une sorte de "tour". Apprenant que je vais à Mojave, il me rappelle de me méfier de la density altitude. Conseil enregistré.
L'accueil à Kaiser a été très sympathique. Nous repartons avec 3 Tshirts. Une sorte de tradition de ramener des souvenirs. L'avion est chargé des achats des filles à San Francisco. Il est temps de partir. J'ai regardé dans la salle de briefing la procédure de départ moindre-bruit. Départ en 27R, virage à droite pour le vent traversier en passant le seuil, puis on laisse l'Interstate 880 sur la droite. Le sol m'autorise à rouler avec un "standby for squawk". C'est parti !
Un peu de vent, peu de pied... puis je vire à droite en montant et prend le cap vers le sud-est en laissant la baie de San Francisco sur ma droite. Le Golden Gate est derrière nous, après le Bay Bridge et le centre ville.
Camille et Béatrice admirant le Golden Gate et San Francisco
depuis les Inlands. Ca vaut un Bay Tour ?
En quittant Oakland et en continuant à monter hors de la classe Bravo, je passe cinq bonnes minutes à tenter de joindre Norcal pour attraper mon flight following (sésame des pilotes VFR). Il y a du monde sur la fréquence. On se croirait... aux Etats-Unis avec les petits coucous comme moi et les liners mélangés. Avec du vent dans le dos, je fais des pointes à plus de 140kts de vitesse sol. Tant mieux, les filles n'aiment pas l'avion. Ecourtons leur souffrance. Les VOR de PXN, puis EHF et enfin le terrain de Mojave (KMHV) sont sur ma route pour cette fin de matinée.
Arrivée avant Bakersfield, dans les MOA de Leemore, je reçois encore une info. trafic comme seule ici on peut en recevoir : "Traffic in your one o'clock, two F15 rapidly changing course and altitude". Ça va être facile à trouver ça... deux F15... et soudain je lève les yeux, là juste au dessus de moi, deux chasseurs en patrouille passent droite-gauche, dans les 1000 pieds au dessus en virage. Frissons.
Le vent qui est mon allié pour la croisière risque de devenir problématique pour l'atterrissage. J'ai prévu Mojave (KMHV), le Space Port mais aussi le terrain avant Edwards et le désert du Nevada. Avant, il y a la Tehachapi avec sa forêt de 5000 éoliennes. Mais qui dit "éolienne" dit "vent". Je m'étais fait piéger sur Farwest'09 ayant été obligé de remettre les gaz, puis de changer de QFU. Heureusement on a le choix de pistes sur les terrains aux US. Les pilotes n'aimant pas se poser avec du vent de travers. Néanmoins, je surveille du coin de l'oeil les METAR de KMHV car ils sont toujours remplis de G quelque chose comme actuellement... 28016G25.
Bakerfield... Non, non, je ne fais que passer cette fois.
Lorsque je quitte Joshua approach, le contrôleur m'indique la 30 en service et l'altimeter settings. Le vent est toujours en rafale avec des pointes juste en dessous de 30 kts. Vive les ailes hautes des Cessna. Mais avec la piste 30 en service et des vents du 270 au 290, cela devrait aller. Soyons confiant. On va pas faire demi-tour maintenant.
Je m'applique pour la descente en vent arrière main gauche après la clairance de la tour : "from the west, make a left downwind runway 30, report midfield downwind". Je rallonge un peu et ne ralentie pas trop. Sortie Flaps 10 en finale... "wind check for 55L, please ?"... La tour me répond un joli "55L, wind two seven zero at two two gusting two niner".
Si, si la caméra est dans l'axe de l'avion.
C'est l'avion qui n'est pas l'axe de la piste
Je me bat en finale. Cela me rappelle St-Barth ou Les Saintes. Je me fais trimballer à gauche de l'axe. Béatrice, assis à ma droite, me le rappelle ;-) La piste 30 de Mojave est immense, mais tout de même. J'aimerais bien me poser... pas "casser" certes, mais poser en 1 fois si possible. Je continue à être à gauche de l'axe. Je me bat avec le vent. Il fait de plus en plus chaud. 12.503 pieds de piste bouillants m'attendent. Le nez de l'avion est toujours à gauche. Je passe le seuil alors qu'un avion entreprend le roulage et le contrôleur lui demande s'il veut la 30 ou la 26. Visiblement, un dialogue de sourd s'installe, je ne suis visiblement pas le seul à ne pas comprendre tout du premier coup. Le badin affiche 70 noeuds, le seuil est passé, l'avion descend doucement, je suis plein réduit et me rappelle les conseils de Marc-Olivier : ne pas (re)tirer sur le manche, mais laisser l'avion descendre avec l'assiette légèrement à cabrer. Pas de mayonnaise de volant. Pas de geste brusque. Du calme. Si la vitesse est bonne, il devra descendre doucement et forcément rencontrer la terre à un moment ou un autre. Tout est question de moment ;-)
Quelques mètres. Un peu de pied à droite... je remet l'avion dans l'axe de la piste et simultanément mets du manche à gauche, dans le vent. Sans (re)tirer sur le manche, je maintiens l'assiette et l'avion touche le sol... sur la ligne. Je souffle de soulagement ayant été tendu pendant tout l'approche alors que les filles discutaient ;-)
Il fait plus de 40 degrés malgré les rafales de vents. On a l'impression d'être dans un four à chaleur soufflante. Alors que je roule vers le Self Serve, il me semble apercevoir à l'abri des regards, dans son hangar, Mothership Eve, le lanceur de SpaceShip One. Nous sommes sur la home base de Burt Rutan.
Le temps d'aller se rafraîchir au restaurant de l'aéroport, impossible de ne pas penser à attacher l'avion. D'ailleurs, les quelques machines qui sont là sont toutes bien attachées ailes et queue de l'appareil. Ce ne doit pas être par hasard. Suivons les habitudes locales ;-) Je fais attention, juste avant d'ouvrir les portes du Cessna, de planquer tout ce qui risque de s'envoler, n'ayant pas envie de courrir avec cette chaleur après une carte.
La corde aux allures arrondies, c'est normal... c'est le vent
Rafraîchissement sous la surveillance de deux F16 au parking
Après la pause rafraîchissante au restaurant, il faut penser à repartir, même s'il n'y a qu'1h45 de vol de prévu. Mais il reste le gros bout : Las Vegas.
N1955L me fait des misères à ne pas vouloir redémarrer. J'applique les consignes de Bob laissées en pop-up sur Schedule Master et le démarrage à chaud des moteurs à injection. Je patiente au chronomètre, n'applique pas la pompe et puis au 4ième essais le moteur daigne démarrer. Gros coup de chaud (inutile d'en rajouter, nous sommes déjà dans le désert) et je m'imaginais déjà rester coincer à Mojave. Cauchemar.
La tour de Mojave a bien rappelé de "check density altitude". Le terrain est à 2800 pieds et il fait plus de 40 dehors. Au point d'arrêt, je mixture plein gaz. Heureusement, il y a du vent. Je ne devrais pas avoir de problème à prendre mon envol, d'autant qu'il n'y a pas d'obstacle dans la trouée d'envol en 30, mais ensuite chargé comme je suis autant avoir de la puissance pour avoir un vario correcte, non ?
Une fois en l'air, prise de cap au sud pour le VOR de Palmdale (PMD). Je quitte Mojave en demandant la fréquence de Joshua. J'ai un doute et bien m'en a pris. Je demande la verticale d'Edwards, mais Joshua m'indique que les zones restricted sont actives et m'interdisent la verticale. J'aurais quelques minutes plus tard, des vecteurs plus directs pour Dagget. J'entends aussi sur la fréquence des pilotes VFR se plaindre de la visibilité. Effectivement, on y voit rien. Du vent + de la chaleur et à 7500 pieds on voit vers le bas mais très (très) peu vers l'avant. Les deux GPS sont allumés et fonctionnement. Le doigts sur la carte, seul l'air est turbulent. Je suis les vecteurs que m'assigne Joshua. La machine sursaute dans tous les sens aux grands regrets de ma passagère à l'avant. Je peine également avec ce conservateur de cap qui perd 20 degrés toutes les 30 secondes. Je pilote au compas. Bon entraînement.
Puis approchant de Vegas, le passage de fréquence en fréquence est de plus en plus chargé. On sent que cela s'excite. Un VFR devant moi se dirige vers Henderson. L'approche de Vegas, le libère et lui demande de contacter la tour d'Henderson. Ça a l'air simple.
Puis, j'ai une clairance pour la Bravo et des vecteurs pour la 19R. Super. Ça parait simple. J'avais toujours la crainte de me voir refuser l'arrivée sur Vegas en VFR. Je suis assigné à 7000 pieds et le contrôleur me demande si je suis familier avec le coin : "55L are you familliar with the local aera ?" Je répond bien sûr par la négative et l'ATC me dit de prévoir une verticale McCarran à 4500 ft. OK.
Les vecteurs continuent d'arriver : "55L turn left heading 3-6-0". Je comprend mal une clairance. Je comprend un turn left 3-5-0 pour un 2-5-0. Le pire est que j'ai collationné un 3-5-0. Bizarre. On collationne correctement, mais on fait autre chose (la pinnule du conservateur sur le 250). Quelques secondes plus tard, le contrôleur me rappelle à l'ordre, me demande de descendre à 5500 et me demande si je vais bien au 350 alors qu'il me voit partir vers le sud. Je ne comprend pas son rappel et lui demande s'il veut que j'aille vers le sud ? Soudain une autre voix m'appelle : "55L, do you have instructor on board ?". Je répond immédiatement : "negatif". Il me répond "negatif".
Il y a alors un blanc de 5 sec. Un immense blanc pour moi. Une grosse poussée d'adrénaline. Je suis à bord de ce Cessna dans la Bravo de Vegas. Je le rappelle avec mon cap actuel (two-five-zero) et ma clairance de descente vers 5500. Bien m'en a pris. La seconde voix est toujours là et corrige en élevant la voix : "Three-five-zero ! Almost North but ten degrees left... 55L northbound NOW !"
Et là, je comprend mieux. Je collationne "Turning northbound now, my mistake 55L"
Dans le virage que j'exécute rapidement
pour prendre un cap au nord
Avec un cap au nord, je me redirige vers McCarran et continue ma descente. Gros coup de chaud. Grosse tension. Je reprends mes esprits. Ne pas paniquer. Garder son calme. Le premier ATC a repris sa litanie de clairances vers les liners (southwest, cactus...). Ils ont du rigoler dans leur cockpit à entendre le frenchy se faire rappeler à l'ordre.
Puis les clairances continuent pour la descente : "55L, descent five thousand" et "55L, descent four-thousand-five-hundred and contact Las Vegas approach one-one-niner-point-four". J'arrive presque au seuil des 25. Le Las Vegas strip est juste à côté. 4500 ft. Des Boeing décollent, roulent, s'alignent.
- "55L, verifying your landing VFR at McCarran ?"
- "Affirmative, 55L"
- "Cessna 55L, do you have the stratosphere tower in sight ?
Je pédale un peu sur cette dernière question. Ah, la tour stratosphere ! Oui, je l'ai ! Au bout du strip, juste là.
"We have the stratosphere tower in sight, 55L"
"55L, turn final abeam the stratosphere tower, expect runway 19R"
Encore un coup de chaud. Je tourne trop tôt en base. Pas assez "abeam" au goût du contrôleur (et à raison). Quelques secondes (à peine) plus tard :
- "55L, we are now abeam the stratosphere"
- "Affirmative, turn left... turn left on the base now"
Et ça continue. Alors que je ne n'ai même pas fini mon virage pour rejoindre la base correctement, l'ATC me rappelle :
- "55L, fly heading... two six zero... turn left heading two six zero... I have a jet to land behind you sir... I need you make that turn, please"
Je n'ai pas préparé la machine. Je file à 100 kts en descente, dans un genre de base main gauche pour la 19R au cap 260. Et ce n'est pas fini.
- "55L, continue left turn two four zero"
- "55L, two four zero"
Je me rapproche quand même rapidement du terrain avec ce cap. La machine n'est toujours pas prête. Je file direct. Je réduit alors et soudain :
- "55L, best speed for me"
- "Accelerate, 55L"
A croire que l'ATC était par dessus mon épaule. J'accélère donc. 120 kts.. 130 kts... puis avant l'arc jaune. Presque pleine pattate en surveillant le badin dans une base convergente pour la 19 et en descente. A côté de cela, l'arrivée à Portland sur FarWest'08 : de la rigolade. Droit sur le strip. Droit pour aller se poser à McCarran.
- "55L, do you have the aiport in sight ? Correct ?"
- "Affirmatif, 55L"
- "55L, contact tower 118.75 for final 19R, gooood day"
La fréquence était déjà affichée. J'appuie sur STBY.
- "Las Vegas tower, good day... 55L is turning on final runway one niner right"
- "55L, Las Vegas tower, runway one niner right, cleared to land"
- " Runway one niner right, cleared to land, 55L"
Et en face de nous, les liners décollent sur la piste séquente :
Je n'ai pas eut les vents. Je me bat encore en finale, l'avion se balance de droite à gauche.
A peine posé (pas cassé), je reçois "Vaccate first right and contact ground point one". Coutume locale ;-)
En remontant le taxiway Hotel, je vois un Boeing 757 se poser juste derrière moi. C'était donc lui la raison de l'arrivée rapide.
Puis le "réconfort" du Follow Me du FBO Atlantic. Le parking assisté et la shuttle climatisée qui vient vous chercher et qui charge vos bagages ("qui a le tip ?"). Il me fallait bien un van climatisé pour me remettre de toutes ces émotions.
Allez, direction la piscine de l'hôtel.
19 commentaires:
Fiou ! J'ai eu chaud comme toi en te lisant :) On s'en lasse pas de McCarran; hein ? :)
Wow !
J'ai peine à imaginer le stress que tu as enduré... seul !
Perso, je me serais déjà dérouté vers Dreux :)
Bien géré en tout cas !
++
Alex
Waouh Vincent ! Incredible! Ca, c'est de l'expérience. Continue à nous faire vivre ton voyage avec ce grand talent qui est le tien !
Hé bin ! Merci pour le récit, on s'y croirait et on a chaud avec toi ! :-)
oulala nom de zeus je crois que je viens de tremper le tee-shirt pour toi, une tite saramistoukette???
;-)
vu que une fois atterri tu n'as pas eu le droit au legendaire:
"... I have a phone number for you to call, advise when ready to copy"
j'en deduis que tout s'est bien passe :-)
Merci pour vos messages !
Rémy : Je pense souvent à cette phrase... "... I have a phone number for you to call, advise when ready to copy""... et je croise encore les doigts.
Tes récits sont toujours aussi bons Vincent, on a les mêmes sensations, les mêmes émotions que toi en te lisant, c'est formidable !
Quelle aventure aussi, FarWest ! ^^
Ça fait monter l'adrénaline comme tu dis !
Jusqu'à la fin je me demandais comment ça allait finir !
Bref que du bon, tu veux pas sortir un livre ? :p
Vincent, je me joins à Barez !
Et bien, c'est impressionnant, c'est vraiment sans filet et c'est une expérience aéronautique fantastique... Bravo.
J'espère que ta petite famille apprécie quand même les paysages?
Bons vents, avec ou sans G,
Fred (qui a rejoint Alex à Dreux :-) ).
@Remy, genre celui-là ? http://www.youtube.com/watch?v=pKR-Vj5H8u8 :)
Y a quelque part dans les archives de LiveAtc un de mes cafouillages sur la fréquence mais pas de téléphone non plus :)
Un bon pilote est un pilote ...vivant ! tu nous en a fait une nouvelle et brillantre démonstration, avec un récit palpitant.Pilote et écrivain, Beavo
Michel FGYMC
J'en transpire encore !
Et dire que ce sera mon tour d'ici 7 mois ..... Quelle galere :D
Bravo et merci ! merci de prendre le temps de raconter, de monter la vidéo, merci d'avoir le courage de partager une expérience.
Des copains non pilotes critiquent souvent ce qu'ils perçoivent comme un excès de formalisme, une tendance à "se la péter". Je suis pour ma part convaincu que les automatismes sont un des fondamentaux de la sécurité, car ils nous permettent de faire voler l'avion même quand le stress nous a à moitié lobotomisés.
Bonjour Vincent !
Merci pour votre blog, je suis à quelques encablures de passer le PPL. J'ai trouvé très impressionnante votre vidéo à Las Vegas, et j'ai même stressé pour vous.
Je ne voyais pas cette fameuse tour non plus... peut-être aurait il fallu demander confirmation...
Continuez, et peut-être à une prochaine sur l'aérodrome de Dijon-Darois (LFGI) !!
Hé ben! Vive le stress! Moi qui est élève-pilote à Bruxelles je me demande à peine ce que j'aurais plus tard!
En tout cas la lecture était palpitante! On aurait presque la bande dessinée Beagles ^^
On s'y croit vraiment... J'aimerais un jour avoir l'occasion de faire un "Far West"... je compte bien m'en donner les moyens ;-) .
Bons vols
Wow, j'ai eu chaud en te lisant :)
Superbement bien raconté.
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