Il est temps de se mettre devant la carte. Ou plutôt devant le « collage » de grandes cartes sur une des parois du container à côté du trombinoscope et du frigo. Le terrain de jeux autour de St-Martin est rempli d’océan. Anguilla au nord, St-Barthelemy au sud-est et plus encore au sud Saba et St-Eustache. Bien sûr, plus au sud encore il y a encore des noms qui font rêver : St-Kitts, Nevis, Antigua, Montserrat, Les Saintes, Marie-Galante, La Désirade… sans parler de la Guadeloupe et de la Martinique. Mais nous n’avons qu’un Cessna 150 et j’ai déjà eut la chance de poser les roues du PA28 N32111 du côté du Raizet, des Saintes et de la Désirade. Snif. Snif. Souvenirs. Heureusement que le blog est là.
- « Saba ? Tu as bien dit Saba ? C’est où ça ? Je ne connais pas »
Ou plutôt si. J’en ai entendu parler. On m’a dit que la compagnie locale WinAir, basée à Juliana, a construit une piste sur ce petit bout d’île. Une jolie 12/30 en dur (ils ne connaissent pas les pistes en herbe, vues les averses qui tombent) totalement artificielle, ratiboisant un petit bout de colline. Le terrain n’est pas ouvert à la CAP (Circulation Aérienne Public), il est donc interdit de s’y poser (hors urgence bien sûr). Seuls les avions de la compagnie WinAir disposent d’une autorisation. Voilà un terrain restreint original. Je ne sais pas encore que l’approche est, elle aussi, un peu spéciale. On verra toute à l’heure. Pour l’instant, on se décide pour un triangle TFFG (Grand-Case) – Saba – TFFJ (St-Barth) – TFFG. On demandera un « low pass » sur Saba. On a vu pire. Cela va me changer de mes St-Cyr – Pontoise – Toussus – St-Cyr. Allez, on remballe le tout. Fini de rêver. Filons voler !
Nous faisons le plein alors que le bimoteur des douanes vient nous souffler tout nos papiers lorsqu’il manœuvre pour se garer à l’extrémité du parking Aviation Générale. Puis Frank file déposer un plan de vol. On prévoit 1500ft et une petite vingtaine de minutes de vol vers Saba, le retour via St-Barth et Grand-Case. Et les caps ?
- « Et le cap en sortie de Grand-Case, c’est quoi ? »
- « Oh la la, tu verras Saba en tournant la tête vers la droite… Allez, moi je dis un petit 195 »
- « Bon, ba si tu le dis… »
J’effectue comme je peux la prévol avec la Check List dans la main en me battant avec une guêpe maçonne de l’autre main. N’étant sûr de rien, regardant et vérifiant tout et n’importe quoi. Cela a beau être un avion, ce n’est pas mon avion ! Il est tout en métal, a les ailes bizarrement placées, a des volets électrique immense, un volant (et pas un manche), les gaz à droite, le badin en mph (et la petite couronne en kts), pas de pompe… Je ne suis pas dans mon élément.
Il est temps de mettre en route. Le canot et les gilets de sauvetage sont à bord. Aligné et prêt à décoller, l’AFIS nous donne les vents « pas de trafic à vous signaler dans le circuit », je met plein gaz.
Virage à droite « Au dessus de l’eau ! Pas sur la terre, Vincent ! Et la procédure anti-bruit, alors !». Green Cay et la plage du Gallion défilent sous l’aile droite. Nous descendons vers le sud en longeant la côte de St-Martin. Oyster Pond et la Pointe Blanche sont dépassées. Nous passons à proximité de Great Bay où sont amarrés les énormes paquebots qui en pleine saison sont 3 ou 4 dans le port. Aujourd’hui, hors saison, il n’y en a qu’un d’amarré. Frank me montre du doigt une île au loin, entre le bleu clair, le bleu foncé et le bleu clair. Saba est là. A portée de vue. Un gros rocher, tout droit, en laissant St-Barth sur la gauche.
Je reprends mes esprits. Le spectacle est encore une fois grandiose. Du bleu, du vert, le blanc tranchant des plages de sables fins et quelques nuages. St-Barth et sa 10 mythique sont là à gauche. Juste là à droite, au bout de l’île de St-Martin SXM, c’est Princess Juliana – TNCM et son approche sur la 09, au dessus de la baie de Maho.
Le cap est pris. Tout droit. Pas compliqué. Je tente de trimmer le Cessna 150 pour tenir mes 1500ft. Il y a un radar et des liners dans tous les coins, par ici. Après quelques minutes, il ne subsiste que deux couleurs devant le pare-brise. Du bleu et du blanc vers le haut… et « que du bleu » vers le bas et les côtés. Je prends l’appareil photo pour immortaliser l’instant. Nombreux sont les pilotes terriens à craindre le survol maritime. Je préfère ne pas y penser. Je repense plutôt au canot et au gilet derrière à portée de la main sans (aucune) conviction. Je jette un œil aux instruments moteur. Aucune inquiétude ne transparaît dans l’habitacle. Je savoure l’instant. Au dessus de l’atlantique à presque 100kts dans un Cessna 150 en route vers l’île de Saba.
Nous sommes sur 128.95 « Juliana Approach ». C’est un chouya plus calme que la dernière fois. Mais ça « envoi pas mal » en anglais tout de même. Et je continue à apprendre en tendant l’oreille. Nous avons droit à un code transpondeur original : 0-1-7-4. Il faudra que je pense à balancer un tel squawk, si d’aventure je prends l’approche de Juliana sur IVAO. Au premier contact, nous avons du mal à nous faire comprendre du contrôleur, à moins qu’il cherche à se faire confirmer les informations du plan de vol :
- « Confirm, Grand-Case to St-Barth ? »
- « Negative, Grand-Case to Saba »
- « St-Barth ? »
- « No… Saba… Sierra-Alpha-Bravo-Alpha »
- « Ah… Saeuuuuubaaaa »
Rires dans le cockpit.
- « Seven-Zero-Four, confirm, l-a-n-d-i-n-g at Saba ? »
- « Negative, sir, low pass at Saba »
Le troller de l’approach contrôle bien que nous savons qu’il est interdit de se poser à Saba.
Je vise toujours Saba. Le gros caillou posé au milieu de l’eau. Impossible de le rater depuis tout à l’heure. Et j’imagine déjà la réalisation d’une NAV dans le coin d’île en île ;-) Et je me rappelle l’année dernière lorsque nous sommes allés de St-Martin vers la Guadeloupe faisant défiler ces îlots de terre au milieu de tout ce bleu.
A Saba, le relief me semble déjà abrupt. Pas de plage, c’est sûr. Des falaises et une forêt dense. Tout l’inverse d’Anguilla avec dit-on ses 365 plages, une par jour. Un pétrolier passe au large, trafic « droite – gauche » et me sert de repère pour trouver le terrain.
- « Tu vois le pétrolier ? Dans l’axe, avec une route qui monte en serpentant, tu peux deviner le terrain »
Nous quittons l’approche de Juliana et son trafic mélangé de VFR et d’IFR, non sans avoir bien collationné « Will contact Juliana Approach on Two-Eight decimal Niner-Five when leaving Saba back to Grand-Case ». Ok. C’est noté. On fera comme ça, monsieur.
Trois minutes avant d’arriver. Petit « briefing arrivée », puis nous contactons la tour.
- « Six-Six-Seven-Zero-Four, Cessna One-Five-Zero, two persons on board, 3 hours fuel, expect airfield in 3 minutes, request for a low pass »
- « Seven-Zero-Four, confirm low pass ?»
- « Yes, Low Pass Sir »
- « Seven-Zero-Four, low pass is approved, no trafic to report, report on final runway 12 »
- « Will report in final 12, thank you, Seven-Zero-Four »
Plus nous nous approchons et plus je me rends compte de l’aspect artificiel de ce terrain. Comme si le surplomb de terre avait été coupé au fil à couper le beurre. La piste semble totalement plane. Rien d’autre pour l’instant ne m’interpelle. Et pourtant.
Je tente comme je peux de m’intégrer proprement avec les conseils de Frank. Une 12/30 donc… On vise le cap 300 pour la « vent arrière » et on tient ses 1000 ft. Arrivé en fin de vent arrière, je me rends compte de la particularité de la base qui arrive. Nous sommes face à la montagne ! Un mur de roche est devant moi alors que j’ai viré en base. J’en fais abstraction et me concentre sur mon dernier virage. Je garde l’œil sur la piste alors que la montagne approche.
- « Tu vois la manche à air ? »
- « Non » (comme d’habitude, pour moi elles se cachent)
Et bien sûr j’overshoot un peu la finale. Le temps de ne pas sortir de l’arc blanc et de se remettre dans l’axe (et de ses émotions)…
… en courte finale, ce qui saute aux yeux c’est le mur au seuil de piste. Cela ne donne pas envie d’être trop bas sur le plan (et pourtant). Je remarque aussi ces marques de seuil décalé à chaque extrémité de piste et la ressemblance avec le pont d’un porte-avion, même si je n’ai jamais fait d’approche sur un porte-avion (forcément). Une falaise se trouve devant le seuil de la 12. Un peu comme à Vesoul (voir le récit en juillet 2006), mais avec la mer en plus. Je fais attention à ma vitesse. Frank me rappelle de « tout sortir » et que nous faisons un « Go Around, hein n’oublis pas… », pas de mauvaise surprise. Nous nous présentons, somme toute, assez correctement et sans cette interdiction, je pense que nous « l’aurions faîte »… cette piste originale. Mais avec un 150 on peut tout faire ?
Alors que je remets les gaz (« Doucement avec l’assiette ! »), Frank me demande si je veux refaire un tour. Il n’y a personne dans le circuit de Saba. Ce n’est pas de refus, ne boudons pas notre plaisir. Ainsi, je pourrais faire des photos.
- « Is it possible to make another one, Seven-Zero-Four ? »
- « Seven-Zero-Four, yes, no problem, report on final »
- « Will report on final, thank you »
Et c’est reparti pour un tour. Encore un tour de bonheur. En vent arrière, je remarque une particularité de Saba qui m’avait alors échappée. La piste est minuscule ! Elle est vraiment minuscule ! C’est étonnant comme je n’avais pas percuté alors que je pilotais sur la première approche.
Dernier truc avant de repartir. La piste est au dessus de l’eau, posée sur ce promontoire. Ce qui fait qu’à la « remise de gaz », on peut… repasser sous la piste. Les pilotes de WinAir parfois ne s’en privent pas m’a-t-on raconté.
Il est temps (ça finit toujours comme ça ?) de reprendre un cap vers St-Martin. Nous recroisons notre pétrolier. Je profite de Frank, de l’aile haute du Cessna et de la vitre qui s’ouvre pour shooter le navire. J’oublierais encore une fois que nous sommes à presque 200 km/h alors que j’ouvre la fenêtre et que mon appareil photo numérique manque de s’envoler. C’est la même mésaventure qui m’était arrivée lors de mon premier vol 3 ans auparavant dans le PA28 N32111. Ca n’arrive qu’ici ;-)
Sur la route entre Saba et St-Martin… On trouve St-Barth. Comment voulez-vous que nous n’allions pas y faire un touché ? Comment passer si près, sans tenter l’approche alors qu’on un instructeur à droite ?
Je fais mon malin en sortant ma planchette et ma VAC de St-Barth que j’avais pris la peine d’imprimer depuis Paris. Imprimez la VAC de St-Barth en pensant que vous irez peut-être y faire une approche… et vous avez déjà des frissons. Sauf que, comme sous Flight Simulator, je n’arrive pas à faire coïncider la carte avec ce que j’ai sous les yeux. A plusieurs reprises sur FS et au départ de Juliana, je m’étais trompé d’arrivée sur St-Barth, confondant l’île Coco avec l’île Fourchue (« faut le faire tout de même »). Passe encore sous FS, on peut toujours dire que le décor manque de réalisme, mais là… quand même !!!
- « Tu gardes 1500ft, on se présente sur le pain de sucre, là devant »
- « Facile… le pain de sucre ? Cet îlot ou celui-là ? »
Je tourne la carte dans tous les sens. Je jette un œil au conservateur de cap pour trouver le nord et orienter ma carte. Décidément, ça ne me réussit pas. Après quelques minutes, je laisse la VAC sur mes genoux et décide de m’abandonner au paysage et au plaisir de l’approche sur cette piste 10 mythique.
Approche… approche… hum… disons plutôt un bombardement en piqué. Normalement lorsque l’arrivée est réussie, le plan est déjà un peu fort. On fait coincer les chiffres 10 inscrits sur la piste au raz (« vraiment au raz ») du creux du col ou on pose « les peignes peints » de la nouvelle piste sur le creux du col de la Tourmente (voir cette page pour la description des travaux de la nouvelle piste). Mais là, je m’y prends comme un manche (sans jeu de mot). J’arrive avec une assiette à piquer monstrueuse (et le mot est faible). On sort toute la ferraille. Heureusement le Cessna 150 n’accélère pas comme une fusée avec une telle assiette. Et il tient ses 80 mph. Le 10 et les peignes ne sont pas du tout où ils devraient être. Banzaiiiiiiiiiiiiiiiiii !!!! Le Calvaire et le col passent toujours en piqué prononcée avec l’aide de Frank (forcément). Je vois un Jeep Cherookee (j’ai presque vu la prunelle des yeux du conducteur et si vous insistez je vous donne l’immat du véhicule) s’arréter dans le virage juste au dessus de l’approche (« c’est pour un cabrioooooooooooollllllleeeeeeeeeeeeeeeet ! ») au lieu de m’occuper de mon plan. Le 10 passe, plein réduit, les peignes, la plage au bout, la piste défile, l’arrondi… Un peu de pied… Doucement…Laisser l’avion descendre, l’accompagner… Ne pas rendre la main... Tenir l’arrondi… On touche du train principale… Le nez maintenant… Et la plage qui se présente là, devant… Remise de gaz… Déjà 60 mph… Je tire doucement le manche… la plage… 2 baigneurs (même pas baigneuses et même pas top less… puisque je vous dis que c’était des mecs !) passent à côté de la roue du Cessna. Je remonte doucement le nez de l’avion, puis après quelques secondes, j’entame mon virage à gauche. Je reprends mon souffle. Je reprends mes esprits. Peut-être étais-je en apnée depuis le début de la descente ?
On garde 1000 ft pour le transit entre St-Barth et St-Cyr… euh St-Martin.
- « Ca te dit un encadrement sur Grand-Case ? »
- « Allez, soyons fou ! »
- « Ici, on ne peut pas les faire perpendiculaire au milieu de la piste à cause des deux montagnes de chaque côté »
- « Ah ba oui… »
- « Alors, on les débute au seuil de la 12 »
- « Allez… on reprend 500 ft ? »
- « Comme tu veux »
- « C’est parti »
Il est 14h30. Nous retrouvons le container climatisé de l'aéroclub. 1h20 au compteur. 1h20 de bonheur. On remet ça quand ?