18.8.06

Cleared for low pass

Nouveau rendez-vous pris à l’aéroclub. Encore ! Il fait toujours aussi chaud, à moins que ce ne soit l’excitation d’avant-vol ? Cette fois-ci, je ne sais pas vers quel terrain nous allons nous envoler. « Nous regarderons sur la carte le moment venu, qu’en penses-tu ? » m’a dit Frank au téléphone. Je n’en ai pensé que du bien.



Dans le container climatisé de l’aéroclub, je retrouve Frank de retour de vol avec son élève. Mettez trois passionnés d’avion dans une même pièce et forcément chacun y va de son anecdote. Evidement, Frank nous bat tous (nous ne sommes que 2 aussi ;-) lorsqu’il nous raconte le convoyage du Cessna 150 Seven-Zero-Four de New-York jusqu’à Grand-Case. Les cartes sont déroulées sur la table. Pour vous faire une idée, regardez sur une mappemonde ou lancez Flight Simulator, cela fait une trotte et rappelez-vous la taille et la vitesse d’un Cessna 150.

Il est temps de se mettre devant la carte. Ou plutôt devant le « collage » de grandes cartes sur une des parois du container à côté du trombinoscope et du frigo. Le terrain de jeux autour de St-Martin est rempli d’océan. Anguilla au nord, St-Barthelemy au sud-est et plus encore au sud Saba et St-Eustache. Bien sûr, plus au sud encore il y a encore des noms qui font rêver : St-Kitts, Nevis, Antigua, Montserrat, Les Saintes, Marie-Galante, La Désirade… sans parler de la Guadeloupe et de la Martinique. Mais nous n’avons qu’un Cessna 150 et j’ai déjà eut la chance de poser les roues du PA28 N32111 du côté du Raizet, des Saintes et de la Désirade. Snif. Snif. Souvenirs. Heureusement que le blog est là.



- « Saba ? Tu as bien dit Saba ? C’est où ça ? Je ne connais pas »

Ou plutôt si. J’en ai entendu parler. On m’a dit que la compagnie locale WinAir, basée à Juliana, a construit une piste sur ce petit bout d’île. Une jolie 12/30 en dur (ils ne connaissent pas les pistes en herbe, vues les averses qui tombent) totalement artificielle, ratiboisant un petit bout de colline. Le terrain n’est pas ouvert à la CAP (Circulation Aérienne Public), il est donc interdit de s’y poser (hors urgence bien sûr). Seuls les avions de la compagnie WinAir disposent d’une autorisation. Voilà un terrain restreint original. Je ne sais pas encore que l’approche est, elle aussi, un peu spéciale. On verra toute à l’heure. Pour l’instant, on se décide pour un triangle TFFG (Grand-Case) – Saba – TFFJ (St-Barth) – TFFG. On demandera un « low pass » sur Saba. On a vu pire. Cela va me changer de mes St-Cyr – Pontoise – Toussus – St-Cyr. Allez, on remballe le tout. Fini de rêver. Filons voler !



Nous faisons le plein alors que le bimoteur des douanes vient nous souffler tout nos papiers lorsqu’il manœuvre pour se garer à l’extrémité du parking Aviation Générale. Puis Frank file déposer un plan de vol. On prévoit 1500ft et une petite vingtaine de minutes de vol vers Saba, le retour via St-Barth et Grand-Case. Et les caps ?

- « Et le cap en sortie de Grand-Case, c’est quoi ? »
- « Oh la la, tu verras Saba en tournant la tête vers la droite… Allez, moi je dis un petit 195 »
- « Bon, ba si tu le dis… »

J’effectue comme je peux la prévol avec la Check List dans la main en me battant avec une guêpe maçonne de l’autre main. N’étant sûr de rien, regardant et vérifiant tout et n’importe quoi. Cela a beau être un avion, ce n’est pas mon avion ! Il est tout en métal, a les ailes bizarrement placées, a des volets électrique immense, un volant (et pas un manche), les gaz à droite, le badin en mph (et la petite couronne en kts), pas de pompe… Je ne suis pas dans mon élément.

Il est temps de mettre en route. Le canot et les gilets de sauvetage sont à bord. Aligné et prêt à décoller, l’AFIS nous donne les vents « pas de trafic à vous signaler dans le circuit », je met plein gaz.

Virage à droite « Au dessus de l’eau ! Pas sur la terre, Vincent ! Et la procédure anti-bruit, alors !». Green Cay et la plage du Gallion défilent sous l’aile droite. Nous descendons vers le sud en longeant la côte de St-Martin. Oyster Pond et la Pointe Blanche sont dépassées. Nous passons à proximité de Great Bay où sont amarrés les énormes paquebots qui en pleine saison sont 3 ou 4 dans le port. Aujourd’hui, hors saison, il n’y en a qu’un d’amarré. Frank me montre du doigt une île au loin, entre le bleu clair, le bleu foncé et le bleu clair. Saba est là. A portée de vue. Un gros rocher, tout droit, en laissant St-Barth sur la gauche.



Je reprends mes esprits. Le spectacle est encore une fois grandiose. Du bleu, du vert, le blanc tranchant des plages de sables fins et quelques nuages. St-Barth et sa 10 mythique sont là à gauche. Juste là à droite, au bout de l’île de St-Martin SXM, c’est Princess Juliana – TNCM et son approche sur la 09, au dessus de la baie de Maho.

Le cap est pris. Tout droit. Pas compliqué. Je tente de trimmer le Cessna 150 pour tenir mes 1500ft. Il y a un radar et des liners dans tous les coins, par ici. Après quelques minutes, il ne subsiste que deux couleurs devant le pare-brise. Du bleu et du blanc vers le haut… et « que du bleu » vers le bas et les côtés. Je prends l’appareil photo pour immortaliser l’instant. Nombreux sont les pilotes terriens à craindre le survol maritime. Je préfère ne pas y penser. Je repense plutôt au canot et au gilet derrière à portée de la main sans (aucune) conviction. Je jette un œil aux instruments moteur. Aucune inquiétude ne transparaît dans l’habitacle. Je savoure l’instant. Au dessus de l’atlantique à presque 100kts dans un Cessna 150 en route vers l’île de Saba.



Nous sommes sur 128.95 « Juliana Approach ». C’est un chouya plus calme que la dernière fois. Mais ça « envoi pas mal » en anglais tout de même. Et je continue à apprendre en tendant l’oreille. Nous avons droit à un code transpondeur original : 0-1-7-4. Il faudra que je pense à balancer un tel squawk, si d’aventure je prends l’approche de Juliana sur IVAO. Au premier contact, nous avons du mal à nous faire comprendre du contrôleur, à moins qu’il cherche à se faire confirmer les informations du plan de vol :

- « Confirm, Grand-Case to St-Barth ? »
- « Negative, Grand-Case to Saba »
- « St-Barth ? »
- « No… Saba… Sierra-Alpha-Bravo-Alpha »
- « Ah… Saeuuuuubaaaa »

Rires dans le cockpit.

- « Seven-Zero-Four, confirm, l-a-n-d-i-n-g at Saba ? »
- « Negative, sir, low pass at Saba »

Le troller de l’approach contrôle bien que nous savons qu’il est interdit de se poser à Saba.



Je vise toujours Saba. Le gros caillou posé au milieu de l’eau. Impossible de le rater depuis tout à l’heure. Et j’imagine déjà la réalisation d’une NAV dans le coin d’île en île ;-) Et je me rappelle l’année dernière lorsque nous sommes allés de St-Martin vers la Guadeloupe faisant défiler ces îlots de terre au milieu de tout ce bleu.

A Saba, le relief me semble déjà abrupt. Pas de plage, c’est sûr. Des falaises et une forêt dense. Tout l’inverse d’Anguilla avec dit-on ses 365 plages, une par jour. Un pétrolier passe au large, trafic « droite – gauche » et me sert de repère pour trouver le terrain.



- « Tu vois le pétrolier ? Dans l’axe, avec une route qui monte en serpentant, tu peux deviner le terrain »

Nous quittons l’approche de Juliana et son trafic mélangé de VFR et d’IFR, non sans avoir bien collationné « Will contact Juliana Approach on Two-Eight decimal Niner-Five when leaving Saba back to Grand-Case ». Ok. C’est noté. On fera comme ça, monsieur.



Trois minutes avant d’arriver. Petit « briefing arrivée », puis nous contactons la tour.

- « Six-Six-Seven-Zero-Four, Cessna One-Five-Zero, two persons on board, 3 hours fuel, expect airfield in 3 minutes, request for a low pass »
- « Seven-Zero-Four, confirm low pass ?»
- « Yes, Low Pass Sir »
- « Seven-Zero-Four, low pass is approved, no trafic to report, report on final runway 12 »
- « Will report in final 12, thank you, Seven-Zero-Four »

Plus nous nous approchons et plus je me rends compte de l’aspect artificiel de ce terrain. Comme si le surplomb de terre avait été coupé au fil à couper le beurre. La piste semble totalement plane. Rien d’autre pour l’instant ne m’interpelle. Et pourtant.



Je tente comme je peux de m’intégrer proprement avec les conseils de Frank. Une 12/30 donc… On vise le cap 300 pour la « vent arrière » et on tient ses 1000 ft. Arrivé en fin de vent arrière, je me rends compte de la particularité de la base qui arrive. Nous sommes face à la montagne ! Un mur de roche est devant moi alors que j’ai viré en base. J’en fais abstraction et me concentre sur mon dernier virage. Je garde l’œil sur la piste alors que la montagne approche.

- « Tu vois la manche à air ? »
- « Non » (comme d’habitude, pour moi elles se cachent)

Et bien sûr j’overshoot un peu la finale. Le temps de ne pas sortir de l’arc blanc et de se remettre dans l’axe (et de ses émotions)…



… en courte finale, ce qui saute aux yeux c’est le mur au seuil de piste. Cela ne donne pas envie d’être trop bas sur le plan (et pourtant). Je remarque aussi ces marques de seuil décalé à chaque extrémité de piste et la ressemblance avec le pont d’un porte-avion, même si je n’ai jamais fait d’approche sur un porte-avion (forcément). Une falaise se trouve devant le seuil de la 12. Un peu comme à Vesoul (voir le récit en juillet 2006), mais avec la mer en plus. Je fais attention à ma vitesse. Frank me rappelle de « tout sortir » et que nous faisons un « Go Around, hein n’oublis pas… », pas de mauvaise surprise. Nous nous présentons, somme toute, assez correctement et sans cette interdiction, je pense que nous « l’aurions faîte »… cette piste originale. Mais avec un 150 on peut tout faire ?



Alors que je remets les gaz (« Doucement avec l’assiette ! »), Frank me demande si je veux refaire un tour. Il n’y a personne dans le circuit de Saba. Ce n’est pas de refus, ne boudons pas notre plaisir. Ainsi, je pourrais faire des photos.

- « Is it possible to make another one, Seven-Zero-Four ? »
- « Seven-Zero-Four, yes, no problem, report on final »
- « Will report on final, thank you »

Et c’est reparti pour un tour. Encore un tour de bonheur. En vent arrière, je remarque une particularité de Saba qui m’avait alors échappée. La piste est minuscule ! Elle est vraiment minuscule ! C’est étonnant comme je n’avais pas percuté alors que je pilotais sur la première approche.

Dernier truc avant de repartir. La piste est au dessus de l’eau, posée sur ce promontoire. Ce qui fait qu’à la « remise de gaz », on peut… repasser sous la piste. Les pilotes de WinAir parfois ne s’en privent pas m’a-t-on raconté.





Il est temps (ça finit toujours comme ça ?) de reprendre un cap vers St-Martin. Nous recroisons notre pétrolier. Je profite de Frank, de l’aile haute du Cessna et de la vitre qui s’ouvre pour shooter le navire. J’oublierais encore une fois que nous sommes à presque 200 km/h alors que j’ouvre la fenêtre et que mon appareil photo numérique manque de s’envoler. C’est la même mésaventure qui m’était arrivée lors de mon premier vol 3 ans auparavant dans le PA28 N32111. Ca n’arrive qu’ici ;-)



Sur la route entre Saba et St-Martin… On trouve St-Barth. Comment voulez-vous que nous n’allions pas y faire un touché ? Comment passer si près, sans tenter l’approche alors qu’on un instructeur à droite ?



Je fais mon malin en sortant ma planchette et ma VAC de St-Barth que j’avais pris la peine d’imprimer depuis Paris. Imprimez la VAC de St-Barth en pensant que vous irez peut-être y faire une approche… et vous avez déjà des frissons. Sauf que, comme sous Flight Simulator, je n’arrive pas à faire coïncider la carte avec ce que j’ai sous les yeux. A plusieurs reprises sur FS et au départ de Juliana, je m’étais trompé d’arrivée sur St-Barth, confondant l’île Coco avec l’île Fourchue (« faut le faire tout de même »). Passe encore sous FS, on peut toujours dire que le décor manque de réalisme, mais là… quand même !!!

- « Tu gardes 1500ft, on se présente sur le pain de sucre, là devant »
- « Facile… le pain de sucre ? Cet îlot ou celui-là ? »

Je tourne la carte dans tous les sens. Je jette un œil au conservateur de cap pour trouver le nord et orienter ma carte. Décidément, ça ne me réussit pas. Après quelques minutes, je laisse la VAC sur mes genoux et décide de m’abandonner au paysage et au plaisir de l’approche sur cette piste 10 mythique.

Approche… approche… hum… disons plutôt un bombardement en piqué. Normalement lorsque l’arrivée est réussie, le plan est déjà un peu fort. On fait coincer les chiffres 10 inscrits sur la piste au raz (« vraiment au raz ») du creux du col ou on pose « les peignes peints » de la nouvelle piste sur le creux du col de la Tourmente (voir cette page pour la description des travaux de la nouvelle piste). Mais là, je m’y prends comme un manche (sans jeu de mot). J’arrive avec une assiette à piquer monstrueuse (et le mot est faible). On sort toute la ferraille. Heureusement le Cessna 150 n’accélère pas comme une fusée avec une telle assiette. Et il tient ses 80 mph. Le 10 et les peignes ne sont pas du tout où ils devraient être. Banzaiiiiiiiiiiiiiiiiii !!!! Le Calvaire et le col passent toujours en piqué prononcée avec l’aide de Frank (forcément). Je vois un Jeep Cherookee (j’ai presque vu la prunelle des yeux du conducteur et si vous insistez je vous donne l’immat du véhicule) s’arréter dans le virage juste au dessus de l’approche (« c’est pour un cabrioooooooooooollllllleeeeeeeeeeeeeeeet ! ») au lieu de m’occuper de mon plan. Le 10 passe, plein réduit, les peignes, la plage au bout, la piste défile, l’arrondi… Un peu de pied… Doucement…Laisser l’avion descendre, l’accompagner… Ne pas rendre la main... Tenir l’arrondi… On touche du train principale… Le nez maintenant… Et la plage qui se présente là, devant… Remise de gaz… Déjà 60 mph… Je tire doucement le manche… la plage… 2 baigneurs (même pas baigneuses et même pas top less… puisque je vous dis que c’était des mecs !) passent à côté de la roue du Cessna. Je remonte doucement le nez de l’avion, puis après quelques secondes, j’entame mon virage à gauche. Je reprends mon souffle. Je reprends mes esprits. Peut-être étais-je en apnée depuis le début de la descente ?



On garde 1000 ft pour le transit entre St-Barth et St-Cyr… euh St-Martin.

- « Ca te dit un encadrement sur Grand-Case ? »
- « Allez, soyons fou ! »
- « Ici, on ne peut pas les faire perpendiculaire au milieu de la piste à cause des deux montagnes de chaque côté »
- « Ah ba oui… »
- « Alors, on les débute au seuil de la 12 »
- « Allez… on reprend 500 ft ? »
- « Comme tu veux »
- « C’est parti »



Il est 14h30. Nous retrouvons le container climatisé de l'aéroclub. 1h20 au compteur. 1h20 de bonheur. On remet ça quand ?

"Wanted good woman"

13.8.06

On final runway 09, November Seven-Zero-Four

Je prends mon petit déjeuner, au bord de la piscine. 8h00. Le soleil est levé depuis 2 heures déjà. Un paquet de nuages gris arrive par la mer. Entre mon premier croissant et un pain au chocolat, une grosse averse détrempe tout le monde. Ca ne durera qu’une quinzaine de minutes et je ne m'inquiète pas. Une averse sous les Antilles ne dure jamais trop longtemps lorsque l'on aperçoit juste derrière du ciel bleu. Pas de panique. Nous ne sommes pas à Paris. Tout va bien. Je ne suis pas en retard. 08h30. Je savoure l'instant. Des moments comme celui-là ne se présentent pas souvent dans une vie de pilotaillon. Dans une demi-heure, j'ai rendez-vous pour aller faire un Touch&Go sur la 09 de Princess Juliana.


Il existe des terrains mythiques. Des terrains chargés d’histoire ou des terrains photogéniques. Celui de Juliana (TNCM pour les adeptes des codes) est situé sur l’île de Saint-Martin. Ou plutôt Sint-Maarteen, puisque ce bout de terre des Caraïbes est coupé en deux. Au nord, la partie française avec un aérodrome plus modeste que celui du sud : Grand-Case (TFFG). C’est de là que je vais partir. La partie sud de l’île est hollandaise. Elle héberge l’aéroport de Princess Juliana (SXM pour l’autre groupe de fans) où les liners venant d’amérique du nord et de l’autre bout de l’atlantique viennent se poser. Beaucoup de vols inter îles se terminent où partent aussi d’ici.

HotSpot on the beach



La petite plage de Maho est mondialement connue. Cette plage est juste au seuil de la piste 09. Qui n’a pas vu cette célèbre photo d’un Boeing 747 avec son ombre projetée sur la mer turquoise et son train d’atterrissage passant à quelques mètres de la tête des vacanciers ? Ou bien encore ces touristes avides de kérosène qui se laissent « souffler » par les liners plein gaz, au décollage ? Faîtes une recherche sur www.airliners.net avec les mots clefs « TNCM » ou « Juliana » pour vous rafraîchir la mémoire ou consulter les messages de mon blog que j’ai commis les années passées (en 2003 : ici et ici, en 2004, c'était par là et par là).

A Juliana, la piste préférentielle est la 09 vue les vents dominants. Au bout de la 09, il y a une colline (cf. vidéo du décollage à bord d’un A340) imposant, aux liners juste après le décollage, un virage au cap 140 dès le passage du bout de piste. L’approche n’est pas plus difficile qu’une autre au dessus de l’eau. C’est l’ambiance de ce terrain, sa renommée et toutes ces photos depuis la plage que j’ai moi-même eut la chance de faire les années précédentes qui rendent ce terrain exceptionnel et si particulier. Bien sûr, j’y suis déjà venu en Boeing 747 et en A340 en tant que passager parfois cockpistonné (merveilleusement), assis sur le jumpseat central en arrivant de Santo-Domingo ou de Paris Charles-De-Gaule. Je n’avais encore jamais eut l’occasion d’y poser mes roues de pilotaillon. Pas en Cessna 150. Et surtout pas en étant pilote.

Je retrouve Frank, mon instructeur à Grand-Case. Je dis « mon », car j’ai la chance de pouvoir revenir à St-Martin et de le retrouver à chaque fois pour qu’il m’amène en vol. L’aéroclub Evasion Caraïbes est toujours là, un peu à l’écart des bâtiments neufs réservés aux vols commerciaux. D’année en année, les containers typiques des installations des Antilles se transforment en charmant ClubHouse d’aéroclub. J’apprécie toujours autant la climatisation (même mon aéroclub des Alcyons n'en dispose pas, m’avait fait remarquer Frank lors de son passage à St-Cyr : « ouch… y fait chaud… y-a pas la clim ici ? »). Une terrasse sur l’un des deux containers est même prévue avec un siège d’arbitre/instructeur (comme au tennis) pour surveiller le lâcher des élèves (« trop haut… trop bas… trop rapide… trop de rebond… two points »).

Le PA28 November-32111 (cf. les récits des années passées à St-Martin) doit changer de moteur. Il est à St-Eustache. J’apprendrais plus tard, qu’il devra aussi changer d’hélice. Je ne le retrouve donc pas cette année. Par chance, depuis l’année dernière l’aéroclub dispose d’un Cessna 150. Vols dans les Caraïbes… dans un nouvel avion ? Que demander de plus ? Que du bonheur…

Nous mettons du temps avant de nous diriger vers l’avion car après le séjour de Frank en métropole, nous échangeons beaucoup sur les différences entre ici et la France. Les repères au sol, les navigations, les terrains, les SIV, les espaces aériens, la météo, les appareils, la mentalité. Tout y passe ;-) Et après une heure de discussion à bâton rompu :

- « Bien… alors, si on allait voler ? Qu’est-ce-que tu veux faire ? »

Le Père Noël s’adresse à un des enfants assis au pied du sapin.

- « Un toucher sur Juliana, ça serait possible ? »

Le Père Noël se retourne, attrape sa hotte et fait mine de chercher à l’intérieur.

- « Bien sûr ! On va les appeler avant, pour prévenir mais ça ne devrait pas poser de problème. »

Le Père Noël a trouvé mon cadeau.

Petit passage rapide à la tour de Grand-Case pour faire connaissance avec l’AFIS et demander à ce qu’on les prévienne de nos intentions. J’en profite pour faire des photos et enfin réaliser mon traditionnel passage dans les tours des terrains que je fréquente. Je n’avais pas eut l’occasion de le faire les années précédentes. C’est maintenant chose faite.



La "tour" de Grand-Case



Retour dehors, et petit tour du propriétaire… euh de l’avion… parqué sur les emplacements réservés à l’aviation générale. Frank soulève par l’arrière le frêle Cessna pour le faire pivoter sur lui-même. Comme un jouet. Le 150 est maintenant dans le bon sens.



Rapide tour du propriétaire. Je n’ai jamais volé sur le petit Cessna. J’ai eut la chance de faire quelques vols sur 182 et 172, mais bizarrement, je n’ai jamais inscrit une ligne dans mon carnet avec l’avion fétiche d’école des américains. C’est dû à l’élevage aux Robins ;-) L’avion est petit et me semble bien agencé. On trouve tout ce qu’il faut et je ne suis pas perdu en retrouvant un badin gradué en mph (couronne interne en kt), un horizon, un compte tour… comme dans un avion ? Cela ressemble décidément à Flight Simulator, lorsque je remarque le transpondeur positionné sur 1-2-0-0 (code VFR aux US).

Je parcours la check list. Comme à St-Cyr ;-) Quelques consignes données par Frank. Rappel des vitesses caractéristiques alors que je me bat avec le frein de parking : 65mph la rotation, 75mph la montée initiale avec ou sans volet. L’AFIS, visité quelques minutes auparavant, nous challenge en faisant la phraséo en anglais. Ca a vanné à la tour… le petit parisien dans le petit Cessna… Bonne exercice qui ne durera pas longtemps. On s’amuse mais tout compte fait nous sommes dans un avion et il vaut mieux que ce soit Frank qui s’occupe de ça. J’ai déjà pas mal à faire avec ce nouvel appareil tout petit soit-il. On verra une autre fois. Bien m’en prendra lorsqu’on arrivera sur Juliana. Là, il ne s’agira pas d’un AFIS francophone faisant la radio en anglais avec « no trafic to report ».

Le cockpit du N66704


Aligné sur la 12 de Grand-Case. Vent du 130 pour 12 nœuds avec des rafales 20 kts annonce l’AFIS. Ca n’élève aucun soupçon dans mon esprit. Allons-y. Puissance maximum appliquée… puissance disponible… badin actif. J’oublie de regarder la manche à air, m’appliquant à rouler droit sans « mettre le manche dans le vent ». Frank me reprend. Le Cessna 150 accélère doucement. Arrivent les 60 mph, je tire trop sur le manche, l’appareil se cabre et prend rapidement quelques mètres. Soudain une « rafale » (en tout cas pour moi, pilotaillon de St-Cyr) nous balance à droite. J’ai à peine le temps de comprendre, qu’une seconde nous balance à gauche. Je tente de rester dans l’axe… de quoi d’ailleurs ? Je ne vois plus la piste. Un coup d’œil au conservateur et mon regard est attiré par la bille. Un peu de pied pour chasser la bille… trop de pied… je relâche la pression… de nouveau une rafale… etc… et je me bat avec l’appareil. Je suis toujours attentif au badin, le petit Cessna accélère et nous montons. Krévindiou ! Quel décollage ! J’avais oublié ces conditions des îles !

- « Il y a plus de vent que par chez moi ! »
- « Tiens ton axe »
- « Passant 300 pieds… y-a rien à faire sur cet appareil ? »

Nous avons décollé « léger » sans volet. Ici, pas de pompe, pas de phare (et a fortiori pas de trains rentrants ;-)

- « Ba non, c’est un avion tranquiiiiiiiiiiiille… mais je donne tout de même une check à mes élèves pour qu’ils aient quelque chose à faire »
- « Et on vire vers Juliana ? Par la droite ? »
- « Non, plutôt par la gauche, ils nous attendent par le nord »

Au premier plan l'aérodrome de Grand-Case et au fond Juliana


J’avais regardé la carte la veille en m’imaginant qu’on partirait par la droite. Hein ? Pourquoi pas !

Nous arrivons au dessus de l’étang Chevrise, puis la plage d’Orient Bay. Le Cessna avec ses ailes hautes m’oblige à regarder en bas. Et en dessous c’est « l’horreur ». Je ne vois qu’une multitude de bleu différents alors que nous arrivons au dessus du rivage. Les fonds sont splendides vu de 500 ft et je n’arrive plus à regarder devant. C’est un vrai piège ces avions à aile haute, moi qui ne vole que sur les DR400 et DR221 où il faut incliner l’appareil pour voir sous la quille. Ici, c’est l’inverse. En virage… c’est le néant total. Il faut mieux vérifier avant. Après, on est dans le flou complet.

Nous passons l’île Pinel (j’irais le lendemain y faire du masque-tuba avec ma fille entourée de dizaines de poissons multicolores), Grandes Cayes et Petites Cayes sont laissées sur la gauche. Je suis toujours absorbé par la… ou plutôt les couleurs de l’eau vue du ciel. Pas de doute, nous sommes dans les Caraïbes et il est juste impossible de se concentrer sur le pilotage.


L’île de Tintamarre est laissée sur la droite. Devant nous, la grande île voisine d’Anguilla, à quelques encablures, alors que nous sommes pratiquement vent arrière de la 12 de Grand-Case. Puis rapidement, nous passons le village de Grand-Case, Happy Bay, Friar’s Bay… Cela « sonne mieux » que « sortie ouest », « verticale N12 », « en sortie par le nord » ou « passant RBT »… ;-)

Nous quittons Grand-Case Information à 1500 ft. « See in a while ». Il est temps de prendre contact avec Juliana. 118.7 est affichée sur le COM et là, soudain… d’un seul coup… ça déroule en anglais dans nos casques. Frank trouve un bref « trou » pour caser son message. Râté. On a marché sur quelqu’un d’autre de plus fort… Juliana lui répond. Nouvelle tentative. Il faut s’imposer.

- « Juliana, Cessna 150 November-7-0-4 good day ! »

Le port de Marigot est passé rapidement alors que le contrôleur de Juliana débite à une vitesse folle. Pas une seconde de libre sur la fréquence. Il doit être assoiffé rapidement. Ca blabatte rapidement et efficacement. On sent un côté très-pro que je n’ai pas l’habitude d’avoir dans mon casque. On devine des trafics par le sud du terrain alors que nous arrivons par le nord et la Baie Nettlé. Frank me fait viser les bâtiments de Terre Basse (peut-être ? Estimation après-coup, parce qu’en vol, je vais là où Frank me dit d’aller). Je m’exécute. Nous sommes numéro 5 pour un touché. Ouch. Numéro 5. Le contrôleur nous demande de rappeler en visuel d’un Cessna Caravan numéro 4 (« advise when Caravan in sight »). Frank devine un appareil en longue finale, j’en vois un virant en base. Il n’y a que du bleu autour de nous.

Ca débite toujours autant sur la fréquence. J’en ai « plein le casque ». Je suis aux anges (« que du bonheur »). Un des rêves de pilotaillon du dimanche se réalise. Je suis en train de m’insèrer dans le circuit de Juliana et je suis partagé entre tenter de comprendre ce qui se passe, le pilotage, la beauté du paysage et l’exceptionnel moment que je vis. Heureusement que Frank est là, à droite.

Soudain entre tous les messages (en anglais), le contrôleur s’adresse à nous :

- « Seven-Zero-Four, turn heading two-seven-zero »

On ne discute pas. Frank collationne et je tourne vers la droite allongeant ma vent arrière.

Deuxième vecteur, puis on vire en base main gauche. Nous voilà numéro 3. Je devine la 09 comme je l’avais en souvenir depuis le jumpseat de l’A340 d’Air France, sauf que là je suis assis à gauche d’un (tout) petit Cessna.

- « Euh, on a pas préparé l’avion ! »

Nous déboulons à 110mph, plein gaz, tout rentré.

- « Ah non, là on y va plein gaz… y-a du monde devant et derrière »
- « ah baaaa oui… ça pousse derrière »

Dernier virage. Je m’axe comme je peux. Comme dans un avion de chasse, nous regardons partout à la recherche des trafics environnants. Devant nous un… un… appareil (certainement) est en courte finale. Un second dégage sur Delta ( ?). Un autre est juste derrière nous. Je n’ai jamais identifié le Caravan et à la radio on entend des trafics partout. Au secours !

Le petit Cessna déboule à 100mph, maintenant. Tout est toujours rentré. Je tente de comprendre pourquoi je n’ai pas deux rouges – deux blanches sur le VASI. La main droite sur les gaz, la main gauche (très) crispée sur le volant du Cessna. Je n’ai pas l’envie, ni le temps de sortir l’appareil photo.

Je suis en finale sur la 09 de Juliana !

La 09 vue par GoogleEarth


Le seuil est là…La plage de Maho d’où l’on prend les photos s’offre à moi. On est :

- « Seven-Zero-Four, cleared to land, One-Zero-Five, One-two knots»

En courte, on réduit tout… l’avion ralenti, l’aiguille rentre dans l’arc blanc… Je sors un cran (10 degrés)… Je garde l’œil gauche sur le repère des volets qui descend… pendant que l’œil droit regarde le badin… je passe la plage à 80mph…. Je ne sais plus où regarder… tout défile… la plage… les hôtels… les liners sur le parking… la radio qui débite en anglais… l’ancienne tour de Juliana, là juste à gauche… tout va trop vite… les bâtiments caractéristiques jaune et bleu… le nouveau terminal… le 09 peint sur la piste se pointe au bout de l’hélice… le badin… le VASI… les casinos… un 737 roule vers le point d’arrêt Alpha… la plage… le grillage… le panneau (« Beware Jet Blast »)… 50 pieds… plein réduit… le paysage défile très vite… je n’ai pas le temps de regarder… tout s’accélère… on descend encore…. Je cabre un peu le petit Cessna… j’écoute Frank…tout va trop vite…

Je tente de décraber l’appareil au pied… alors que nous sommes sur la ligne blanche de la 09… Je n’ai aucune idée des vents, pris par le moment, je n’ai pas du tout souvenir de la clairance. Je touche la roue de droite… puis la gauche… l’avion ralenti… et la roulette avant touche la piste… Je remets les gaz… Pas de réchauffe à pousser… pas de volet à rentrer, on reste en config. 10 degrés. J’accélère sur la piste…. Le regard scotché devant moi de façon hypnotique et tous mes sens en éveil pour capter sur 180 degrés le paysage idyllique qui défile sur les côtés pour un simmer/pilotaillon parisien… Sur la gauche, j’ai à peine le temps de voir un TwinOtter de la WinAir. Il faut que je regarde devant, le Cessna reprend de la vitesse… Déjà 70mph… je tire sur le volant… l’avion s’élève.

Juste après avoir quitté la 09, le contrôleur autorise déjà un autre appareil à l’atterrissage. Il n’y a qu’une piste et cela… s’entend. Nous quittons rapidement (à la vitesse d’un Cessna 150 tout de même) le circuit de Juliana. Puis nous revoilà en base main droite pour la 12 de Grand-Case. L’excitation est à peine retombée. C’est la routine pour Frank, mais un moment inoubliable pour moi. Il est encore trop tôt pour rentrer. Un touché… remise de gaz… moins pire qu’à Juliana, je commence à emmagasiner les consignes de Frank. Dès que je réduis l’avion pique du nez… et prend de la vitesse. Je flirte trop avec l’extrémité de l’arc blanc.

A Grand-Case, je retrouve aussi la particularité de ce terrain enclavé entre deux immenses collines,un village et de l’eau au seuil. Deux manches à air. La première au seuil de la 12, la seconde au milieu. Les vents ne sont pas orientés de la même façon à cause de la géographie locale. En courte, je suis aspiré par le village de Grand-Case. Arrivant déjà trop bas, je vois les loupiottes rouges s’allumer. Frank m’avait prévenu et par deux fois, je me fais avoir. Des gaz… mais pas trop pour ne pas finir au second régime, piquer un peu du nez (et oublier cette tendance à vouloir aller plus loin), prendre les habitudes locales des plans… un peu raides ;-) et piquer sur les chiffres de la piste.

De nouveau un tour de piste. Encore trop tôt pour rentrer. Passage au dessus de la plage à 500 ft où ma fille et ma femme prennent le soleil. Je fais plusieurs virages avec une excellente vue vers le bas, mais aucune visibilité dans le virage. Vive les Cessna ! On ouvre la fenêtre pour faire des photos et l’avion tire du côté où la fenêtre est ouverte (« comment sortir toute la ferraille » ?)

La plage d'Orient Bay

Nous revoilà en vent arrière et toujours pas l’envie de rentrer. A droite l’île d’Anguilla.

- « Tu as déjà été à WallBlake ? »
- « WallBlake ? Ah, non ! »
- « Alors file à droite, tu vois là, au milieu, on devine le terrain »
- « Un terrain à droite ? Non… »

L'île d'Anguilla et le terrain de WallBlake


Je tourne quand même. Nous appelons Grand-Case Information et filons vers WallBlake. Un aéroport avec une très grande 10/28. Allons poser nos roues sur un terrain inconnu ! Chic !

En chemin nous discutons. Ca blablatte dans l’étroit cockpit. Et il me faut un effort surhumain de concentration pour me rendre compte que je suis dans le tour de piste de la piste 10 de WallBlake à Antigue après plusieurs tours de piste à TFFG et un toucher sur la 09. La base, puis le dernier virage se présente. Aguilla est anglais, alors forcément dans le coin la radio est encore en anglais ;-)

- « On final runway 10, Seven-Zero-Four »

Encore un touché. Encore du « sur-pilotage » comme dit Frank. Je joue trop avec le volant du Cessna. Je ne le compense pas ou peu et je me défends en répondant que « je veux le piloter, je ne veux pas qu’il vole tout seul ! C’est mon moment à moi ! » ;-)

- « Je t’ai parlé de Scrub Island ? L’île des trafiquants de drogue où un avion a été détruit par la DEA ? »
- « Oui, mais nous n’y sommes pas allés ! »
- « File tout droit, c’est là juste devant et d’ici on devrait être en finale de ce qu’il reste de la piste… qui était déjà sommaire. Tu vois la bande d’herbe un peu plus claire au milieu de l’île ? »

Je ne vois pas grand-chose. Du bleu. Des bleus. Un petit bout d’île, avec du jaune et du blanc autour (la plage et les vagues) et du vert dessus (la végétation). Mon œil n’est vraiment pas habitué à chercher des terrains au milieu d’ilôts. Trouver un VOR planqué à l’est de Pithiviers, oui ! Mais pas une piste désacfectée/abandonnée sur une île déserte !

Nouvelle présentation sur cette pseudo piste recouverte de... cabris ! Alors que nous arrivons en courte et que Frank fait des photos, il me demande tout de même inquiet :

- « Euh... tu te pose pas hein... tu remets les gaz ?! »

Sourires partagées à bord du Cessna. Je savoure ces courts instants de pilotage.

En courte sur Scrub Island


On devine une carcasse d’avion dans le coin en bas à droite de la photo alors que j’arrive en courte… et je vois, lors de la remise des gaz des dizaines de cabris courir dans tous les sens apeurés par le bruit du 100 chevaux qui repart de plus belle. Frank m’explique qu’il vient souvent avec ses élèves pour s’exercer. L’île est déserte et à quelques minutes de vol du terrain de Grand-Case.


Puis dans la montée initiale, virage à droite car il faut bien revenir sur terre. Il faut bien rentrer à Saint-Martin.

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