Evidemment d’aucun pourrait me dire que le brave Robin DR-221 F-BOZP (Zizi-Pouette-Pouette pour les intimes) est presque plus âgé que moi. Les non-passionnés, renchériraient qu’il s’agit d’un truc en bois et en toile (« attention, marchez sur la bande noire sinon vous passez au travers de l’aile ! »). Les grincheux ajouteraient qu’il n’a pas toutes ses vis d’origine et qu’on reconnaît deci-delà plusieurs rafistolages comme des pansements sur ses volets et ses bords de fuite. En y regardant bien, on distingue aussi sur les bords d’attaques quelques bosses, symptômes de nombreuses heures de vol.
Mais, moi, je m’en moque, car dimanche dernier Zulu-Papa m’a emmené déjeuner à la mer. Et toc.
« Alors, où sommes-nous ? ».
Mine de rien, Xavier répètera cette question environ une quinzaine de fois dans l’après-midi. Parfois j’entendrais des variantes, « tu sais où on est là ? » ou « C’est quoi le village à droite ? ». J’en suis à ma 16ème heure de vol dont 2 heures en solo. En plus de piloter l’engin (voler droit, à plat en assurant la sécurité… et la radio… aaaah la radio), je dois m’attacher à connaître ma position… exactement. La CPU (le truc qui tourne dans ma tête) est à 150%. La charge de travail augmente comme à chaque fois que Xavier me fait faire un truc nouveau. Passionnant exercice qui se résume à trouver la représentation au sol de ce qui se trouve sur la carte. « Ce truc vert, là, ça doit être cette forêt ». « La petite route est… aah, ba non… y-a pas de route… et la voie de chemin de fer est… » Zut. Rien ne concorde. Allez on se calme. Sur les conseils de Xavier, on regarde loin. « Le terrain à droite, là c’est pas les Mureaux ? ». Et toc. Au lieu de chercher des aiguilles dans une botte de foin, Xavier me montre par cette remarque qu’il vaut mieux 1/ regarder loin et 2/ choisir ses repères avec discernement. On oubli les courts d’eau au fond des vallées (donc cachés et à sec l’été), les petits villages (la théorie des points blancs sur la 1/500000), on oubli les petites routes et on se concentre sur les autoroutes, les terrains (quand on les trouve), les lignes électrique à haut tension… J’avais fait cette même NAV quelques jours auparavant dans Flight Simulator. Il y a vraiment du boulot à faire pour les VFR. On attend toujours un équivalent de « UK VFR », mais pour la France. Pour l’instant il va falloir pratiquer et encore pratiquer. L’œil devra s’habituer.
- « Evreux de Fox-Zulu-Papa, bonjour ! ».
- « Zulu-Papa, bonjour je vous écoute »
- « Dreux de Fox-Bravo-Oscar-Zulu-Papa, un DR-221 en provenance de St-Cyr et à destination de St-Valéry, à 3500 pieds stable… euuuh… 3 passagers à bord… et… pour un transit sur votre zone »
- « Zulu-Papa, le transpondeur sur 1-4-4-2 »
- « Transpondeur sur 1-4-4-2, Zulu-Papa ».
C’est l’une des première fois que je règle le transpondeur. Rien que ça c’est un bonheur. Je pense que les pilotes IVAO comprennent ce que je veux dire. Tous les autres me prennent pour un doux fou. Le vol réel se rapproche d’IVAO (!). Le transit de zone, le réglage transpondeur (ou plutôt le « Grand Spondeur » comme dirait Jacques Darolles), le contact avec un contrôleur juste pour passer dans sa zone… sont autant de choses qui me comble de joie.
- « Zulu-Papa, identifié radar, transit approuvé, rappelez pour quitter en sortie de zone ».
Ici, à la différence d’IVAO, c’est le pilote qui doit rappeler ? Zut. Il va falloir se positionner exactement sur la carte. Toujours pas de touche F9 et pas de FSNAV. Mon Zulu-Papa, à deux radios VHF, un VOR, un transpondeur ALT… et…c’est tout. Je n’ai pas trouvé le raccourci pour la Moving Map. Nan, la seule carte à bord est celle qui est posé sur mes genoux.
En fait, je verrais plus tard que la contrôleuse me rappellera pour la sortie de zone. Gentiment. Elle doit s’ennuyer en ce dimanche où malgré le beau temps, je trouve qu’il n’y a pas beaucoup de trafic.
- « Zulu-Papa, 3 passagers plus le pilote ? »
Zut, j’ai merdé. Pas foutu de compter jusqu’à trois. Faîtes moi faire une addition à deux chiffres au milieu de ma NAV, et je serais débordé cinq bonnes minutes. Heureusement que mon instructeur est là, il me refait le décompte et chuchote « 2 + 1 ». Jean-Michel est à l’arrière et ne dit mot. Il shoote avec l’appareil photo numérique.
- « Euh… non désolé, 2 passagers et le pilote, Zulu-Papa »
- « Reçu, Zulu-Papa »
Je n’ai pas eut trop de mal à trouver St-Valéry. Il est temps de faire le briefing « arrivée ». Je passe mon plateau repas à l’hôtesse qui vient de réapparaître. Je règle avec les petites manettes électriques mon fauteuil en hauteur, et positionne la tablette à carte qui est devant moi. Pratique ces Airbus A319. Je sors les Jeppessen. L’ATIS est sortie à l’imprimante. On prévoit une arrivée STAR…. Argh… non… oups…. pardon. « Couper !! Couper !! C’est pas bon ! On la refait ! ». Je sors ma carte VAC de LFOS.
- « Ce sera Saint-Valéry, terrain ouvert à la CAP, altitude 272 ft, qu’on arrondira à 300 ft. Le tour de piste à 1000 ft au dessus de l’altitude terrain, donc 1300 pieds. La verticale à 500 pieds au dessus du tour de piste, donc 1800 ft. Particularité du terrain : 4 villages à éviter et toute la zone nord interdite pour cause de centrale nucléaire de Paluel. On fera donc une intégration main droite pour la 07 et main gauche pour la 25. L’air à signaux est au nord du terrain, je ferais une verticale plutôt à l’est pour garder la manche à air visible à gauche. Dernière particularité, la piste en service est la piste en herbe. Piste revêtue inutilisable. Fin du briefing arrivée. »
- St-Valéry de Fox-Zulu-Papa, en provenance de St-Cyr et à destination de vos installations, on est à 3 minutes de la verticale 2000 pieds QNH pour une intégration. »
- « Wanna boufff---scriiiitchhh----liiight---crrrrrossss----scriiiiaaaaiiiiiich-----ouiiaaaaaaaaaa »
Oulalala, ça se complique. On est en auto-info et c’est la planète Jupiter qui nous répond. « Cap Kennedy… Say again please ? » A moins que ce ne soit le contrôle de Vénus. J’ai un doute, là. Xavier me rassure, on capte les anglais de l’autre côté de la manche. Il faut tendre l’oreille. A part qu’il s’agit d’anglais et pas d’allemand, on se croirait tout à fait sur UNICOM dans IVAO. Marrant.
Une fois posé à St-Valéry, je tiens toujours la banane ;-). On vient de faire un peu moins d’une heure de vol (roulage et intégration compris). Il fait beau. Tout pourrait s’arrêter là, mais il nous reste à déjeuner sur la terrasse, les poumons à remplir d’air iodé et le parking avion de LFOS sous les yeux.
Je ferais le retour en passant par les falaises d’Etretat. Les photos parlent d’elles-mêmes. Je vous laisse apprécier le vol à 500 ft et 200 km/h. A cette altitude on a vraiment l’impression de voler vite. Les baigneurs, les plages, l’Arc d’Etretat et les planches à voile passent très vite sous l’aile.
Etretat, son port, sa jetée, sa piscine municipale, le marché se tiens à l'entrée de la ville tous les dimanche matin.
Sur la 12 droite de St-Cyr, je refais un appontage capable de bousiller le pont du porte-avion. Vraiment trop haut et Xavier reprend Zulu-Papa au tout dernier moment. Pas bien.
Puis, je me goure encore avec la check list « Arrêt moteur ». Je me suis focalisé sur le régime à moins de 1000 tours pour les essais coupure, mais avant j’ai oublié de couper les moyens électriques. Je vais l’accrocher au plafond de ma chambre à coucher pour la mémoriser correctement ! Une petite dose de logique serait la bienvenue.
Il est 17h20 lorsque je coupe le moteur au parking des Alcyons. Le compteur affiche 2h30. J’ai donc passé mes vingt premières heures de vol. Je ne suis même pas à la moitié du minimum légale pour passer le PPL et tant de choses restent à apprendre. Je redoute toujours le moment où je vais atteindre le palier d’une progression habituelle, là où l’on commence à refaire les mêmes choses, à se perfectionner, et à trouver moins de motivation. Pour l’instant, il fait beau. Je suis encore aux anges.
Un petit vent rafraîchi l’air encore très chaud de St-Cyr. On a échappé aux embouteillages de l’A13. Forcément, nous sommes allés à la mer en avion.